Que la joie demeure

1 J’ai eu un beau vélo. Mais il était trop haut. J’ai dû attendre un an. Un an en attendant. J’ai dû attendre longtemps pour l’enjamber enfant. 2 Il était rouge et bleu. La couleur de mes yeux. Il avait une sonnette faisant peur à minette Il avait même des freins pour s’arrêter enfin. 3 C’était mon beau vélo mon vélo bien trop haut à la selle toute blanche passant au-dessus de mes hanches à la selle si belle si belle c’était bien elle. 4 J’avais de la lumière pour rouler dans la nuit. J’avais une pompe aussi Moi j’étais …

J’y arriverais

Je m’appelle Louis Ragon et du fin fond de mon camp de travail, je transmets à ma femme ce que j’espère être le dernier souvenir de ma captivité. Nous sommes aujourd’hui le 10 novembre 1918 et le temps est étonnamment clément ce qui implique que le photographe du camp ait réussi à nous tirer le portrait du moins à tous ceux qui en manifestaient l’intérêt et qui de surcroît avaient les moyens de se payer ce luxe compte tenu de nos conditions de détention.  J’ai fait le choix d’envoyer à ma femme ce portrait pour qu’elle voit que je ne …

Modèle

L’enfant vint au monde et comme il le fallait, accepta, après qu’on l’ait frappé alors qu’aucune raison n’était apparente, de pousser son premier cri. Il savait en lui que tout cela n’avait pas de sens, mais que faire contre les règles d’un monde où l’on arrive démunie et où tout autour tout semble régi par des rites incompréhensibles. Le mieux était de se faire discret et de répondre aux évidences du moins celles qu’il considérait comme telles. Il accepta donc, en espérant qu’on le laisse en paix par la suite, un temps dont il avait besoin pour tenter de comprendre …

Ils étaient neuf

  Cet après-midi personne n’avait pensé enlever les taches des sept vaches qui créaient une dernière barrière avec l’éternelle énigme qui se tapit au fonds des bois. L’herbe était, dans une deuxième naissance, toujours doublée dans cet exercice qui consiste à se rapprocher le plus vite du ciel par les fleurs de pissenlits et les pâquerettes -qui semblent avoir résolu le mystère de la salamandre : Plus on les coupe, plus belles  elles  sont le lendemain, ouvertes au soleil à qui elles rendent un éternel hommage en donnant sa couleur à leur cœur d’étamine. Tout est doux et le corps peut …

Quel sourire…

  Tes joues gonflées, tes yeux plissés… Ta douce peau si jeune, jusqu’à tes petites phalanges potelées… Maman t’avait elle-même confectionné le vêtement qui t’enveloppait le haut du corps, laissant tes genoux afficher leur courbe parfaite, tes genoux immaculés de toute plaie jusqu’alors. Nous n’avions pas peur que tu tombes et je pense que nous n’avions pas à nous en inquiéter. Ce cheval de bois semblait te prémunir de toute chute, à vrai dire il était tout à fait banal, malgré qu’il eut chez toi un impact hors du commun. Pourquoi cet animal en bois te sembla si miraculeux ? Certes …

Pierre la Piaille

« – Je vous jure ! Il répétait inlassablement ces trois mots, comme pour relancer sans cesse le moteur de sa logorrhée. C’était une sorte de tampon verbal, qui avait dans sa folie une grande valeur officielle, presque institutionnelle. C’était un certificat, en bonne et due forme, et pour accentuer sa bonne foi il insistait lourdement sur le « r » final qu’il roulait non sans un plaisir évident. « – Je vous jure ! Pierre La Piaille jurait pour tout. Il vous jurait que les chevaux ne dorment jamais, il vous jurait que son oncle avait été ministre, que la soupe, même chaude, est toujours …

Nous

  Je suis le frère de ma sœur et moi, la sœur de mon frère – Je suis le plus jeune des deux. Durant toute mon existence, je n’ai cessé d’admirer ma sœur. Elle était magnifique et l’attention qu’elle me portait me comblait. Nous avions des conversations sans fin sur tous les sujets et son point de vue éclairait mes interrogations, donnait du sens à mes doutes et créait une confiance face à laquelle j’étais sans nul doute démuni. Elle avait cette force tranquille que certaines femmes ont par nature, une assurance et une détermination sans limite qui en faisait …

A hauteur de chien

Cet animal domestique qui de toute évidence doit rêver de se dresser sur ses pattes arrière pour tenter d’inverser les rôles avec les hommes qui depuis l’aube des temps n’ont cessé de le dresser, de l’asservir, de le faire marcher, courir, s’asseoir à la baguette, de lui donner des ordres et de lui crier jusqu’aux tréfonds de ses oreilles mobiles pour que ces mêmes ordres lui soient entendus de toute part, couché, assis, à la niche et au pied, méritait que quelqu’un se mette à sa portée. C’est exactement ce que fit notre homme en sacrifiant la partie de son …

Il était une fois … (3/3)

Ils revenaient donc en leur « époque » !             – Tu vois mon petit, le seul endroit où nous étions sûrs de trouver des instruments suffisamment puissants pour vraiment faire du mal aux Iblis, c’était chez Lulu ! Son père était musicien. Les soirs de fêtes ou de bals, pour arrondir les fins de mois, il faisait danser les gens en échange d’une pièce par chanson choisie. On savait donc que chez lui on trouverait facilement une cabrette, un accordéon et une vielle à roue ! Tu te demandes pourquoi on est rentré le 4 juillet, et bien parce qu’on savait qu’on serait bien …