Cet après-midi personne n’avait pensé enlever les taches des sept vaches qui créaient une dernière barrière avec l’éternelle énigme qui se tapit au fonds des bois. L’herbe était, dans une deuxième naissance, toujours doublée dans cet exercice qui consiste à se rapprocher le plus vite du ciel par les fleurs de pissenlits et les pâquerettes -qui semblent avoir résolu le mystère de la salamandre : Plus on les coupe, plus belles elles sont le lendemain, ouvertes au soleil à qui elles rendent un éternel hommage en donnant sa couleur à leur cœur d’étamine.
Tout est doux et le corps peut même envisager de se déposer sur le sol dans cette souplesse que l’on imagine qu’il peut avoir les jours d’été. Ce n’est peut-être que l’odeur de la nature qui nous autorise à nous allonger sur la terre. Ce n’est peut-être que la suspension de l’air dans sa propre chaleur qui nous pousse à nous étendre comme si notre volonté s’était soudainement émoussée au point d’être manipulé par l’environnement, par l’ouverture silencieuses des paysages, comme si nous avions une envie irrépressible de nous confondre avec la nature et faire définitivement corps avec elle. Un étrange paradoxe fait d’un besoin de soumission absolue et d’un désir irraisonné de puissance totale, de maîtrise des éléments en devenant un géant de glaise de pierre et d’herbe pouvant décider de la marche du monde.
Mais comme toujours, lorsque ce projet s’opère à deux semblables, l’inévitable survient, qui consiste à savoir lequel des deux aurait la prédominance sur ce rêve et bien évidemment sur son homologue.
Alors avant qu’une autre solution apparaisse où il eut été possible de faire valoir à tour de rôle les qualités de l’un ou de l’autre, avant que l’intelligence ne s’empare de ce dilemme en choisissant celui qui possède le plus de distance avec la fonction convoitée, le plus de jugement, le plus d’indulgence, de tolérance, de place pour le dialogue et l’échange, l’écoute et la compréhension, la force se rue sur la situation et la barbarie submerge l’ensemble du projet, écrase la pensée, piétine le sens même que chacun aurait pu donner à cette quête.
Dès lors, peu importe qui des deux allait l’emporter puisque toute perspective était éteinte dans cette folie, dans cette soif de pouvoir qui avait détruit dès le premier geste d’agression l’envie que l’on aurait pu avoir de s’associer à ce fantasme de paix retrouvée avec l’environnement qui nous supporte et nous porte depuis bientôt trop longtemps.
Que ce soir d’été fasse tomber sur les belligérants une nuit où même la lune se perd, une nuit sans repère, une nuit noire et vide où tout se confond avec l’énigme qui se tapit au fonds des bois.
André Ricros