Cet animal domestique qui de toute évidence doit rêver de se dresser sur ses pattes arrière pour tenter d’inverser les rôles avec les hommes qui depuis l’aube des temps n’ont cessé de le dresser, de l’asservir, de le faire marcher, courir, s’asseoir à la baguette, de lui donner des ordres et de lui crier jusqu’aux tréfonds de ses oreilles mobiles pour que ces mêmes ordres lui soient entendus de toute part, couché, assis, à la niche et au pied, méritait que quelqu’un se mette à sa portée.
C’est exactement ce que fit notre homme en sacrifiant la partie de son anatomie située sous les genoux.
Ainsi ayant réussi à coincer ses moignons dans ses galoches, il put observer et surtout et avant tout comprendre l’univers de cet ami de l’homme, où ce même homme manque étrangement de mémoire pour avoir si vite oublié que ce chien l’a mordu, défigurant l’enfant qu’il a été par jalousie, que ce chien l’a trompé en laissant rentrer un maraudeur dans son trésor caché, que ce chien l’a volé en chapardant la dinde de Noël, ne lui laissant que quelques marrons oubliés, que ce chien a tué ses poules et détruit son poulailler, que ce chien l’a trahi en préférant la gamelle du voisin et que ce chien ne mérite aucun respect en l’abandonnant pour un autre chien du sexe opposé avec lequel il va déambuler attaché fesse à fesse outrageant toute bienséance.
Cet homme honorable et bon qui fit le choix de s’amputer pour témoigner de sa bonne volonté, de son attachement et sûrement de son amour pour ce que représentait à ses yeux cet animal sans foi ni loi, du se mordre les mollets pour les avoir donnés à dîner à son chien.
Il ne lui restait donc qu’une issue, trouver une compensation dans cet échange déséquilibré ou l’animal l’avait emporté.
Jouant de la cornemuse, il décida d’en faire une nouvelle outre, la peau de chien étant réputée depuis l’antiquité pour ne rien laisser passer, même pas l’air.
L’animal piégé, il le décapita, pila tout ce qui le constituait, viscères et organes, vida le corps de toute cette bouillie pour lui retourner sa peau et la tanner. Puis, à chacune de ses pattes sectionnées, lui fixa porte vent et bourdon, et en ce lieu qui lui servait de tête plaça le hautbois de sa cornemuse.
A hauteur de chien sonnent les mélodies d’un petit homme qui peut enfin se rire de lui en faisant danser ses semblables avec la vision toujours présente de leurs fesses où il rêve désormais d’enfoncer ses crocs.
En rentrant chez lui, après son travail de musetteur, il hurle à la mort dans les sous-bois, parcourant à petits pas la canton, les moignons de ses jambes calés étrangement dans le creux de ses galoches.
André Ricros