Ces dernières semaines, une poignée de médias nationaux ont été irrigués des musiques phréatiques d’Auvergne à l’occasion d’une parution inattendue : celle d’un album, « La Virée« , de l’artiste Ernest Bergez, alias « Sourdure » : Radio Campus Paris, The-Drone.Com, les Inrockuptibles, France Culture….
S’il est si rare que de tels médias s’intéressent de près aux musiques traditionnelles françaises, c’est sûrement parce que le goût de l’exotisme prime avant tout dans la direction de l’écoute des programmateurs, chroniqueurs, critiques et journalistes. Dans « Sourdure« , on trouve pourtant une certaine essence des musiques traditionnelles du Massif Central, au delà de la langue et de la cadence. On trouve le timbre accidenté des instruments à cordes bricolés dans du bois de mangeoire, celui, brûlé à petits feux, du violon familial que l’on décroche peu souvent de l’étagère du linteau de la cheminée, ou les inflexions tourmentées du chant libre universel… On trouve aussi l’ingéniosité, la bidouille, le système D appliqué de tout temps aux musiques populaires, du blues du bayou à la milonga des dockeurs de Buenos Aires, et jusqu’aux musiques électroniques actuelles qui étonnent et séduisent les mélomanes curieux. Il y a une musique électronique fabriquée par déclenchement d’automates, reliés par un programme informatique, mais il y a aussi une musique électronique générée par des explorateurs du hasard qui câblent comme les peintres de l’abstrait, soudent comme les sculpteurs d’art brut, court-circuitent comme les performers les plus provocateurs, enregistrent, captent et diffusent le son comme des maîtres du land art.
Ernest est un de ces explorateurs du hasard. Et c’est sûrement parce qu’il fait resurgir bruyamment la musique primordiale de l’Auvergne collectée dans les années 70, à l’intérieur de son travail profondément ancré dans la recherche musicale actuelle, que certains y sentent l’exotisme nécessaire à leur plongée dans cet univers, qui se révélera bien plus profond et plus riche que ce qu’ils avaient peut-être imaginé au premier abord.
Depuis la petite maison de Royat, à flanc de colline, dans laquelle il bricole sa musique au gré de ses inspirations haletantes, il nous livre quelques éléments de récit pour aborder l’histoire du projet « Sourdure »… l’histoire d’un contre-courant, peut-être pour remonter jusqu’aux origines de ce monde qui s’étend sur un nouveau partage des eaux…
Comment t’es venue l’idée de ce solo ?
Il y a 4, 5 ans, pendant que mon duo Kaumwald prenait forme, en marge de ça, je commençais à produire des petites choses tout seul, plutôt dans la direction de la musique concrète électroacoustique, mais toujours en lien avec un travail autour de la voix. La voix enregistrée, synthétique, transformée… Au départ, surtout de la voix parlée, du langage, en fait. De la parole enregistrée. C’est ça qui m’intéressait. Utiliser le rythme de la parole pour déclencher des événements musicaux. Aller chercher des mélodies dans l’intonation du langage, partir du non-musical pour aller vers du musical. C’était plus ou moins un cadre expérimental. Mais à ce moment là c’était nouveau pour moi, à l’état de recherche. C’est à ce moment là que je me suis dit que j’allais faire un concert électroacoustique, et le nom de « sourdure » est venu à ce moment là. Ça sonnait bien.
Ton album est quasiment entièrement composé de chansons traditionnelles. Dans quel contexte les as-tu découvertes et pourquoi avoir choisi ce répertoire au lieu de composer pour ce solo ?
Ça coïncidait avec le moment où je suis rentré au cefedem*. Pour te dire, dès la rentrée, on avait une semaine pour monter des projets artistiques d’ensemble et les jouer. On devait proposait des idées à des musiciens qu’on ne connaissait pas, et moi j’ai proposé de monter un atelier autour de La Monte Young**. La première personne qui a répondu positivement, c’était Jacques Puech. A partir de ce moment là, il y a une rencontre très forte qui s’est produite avec Jacques et Clémence Cognet. Plus tard, dans le cadre de ma formation, je devais faire un projet qui devait être quelque chose que je ne connaissais pas d’avance, et j’ai fait quelque chose autour des chants trad’ d’Auvergne.
C’est ta rencontre avec Jacques et Clémence qui t’a fait travailler sur les musiques trad d’Auvergne ?
Pour moi, avant, ça n’existait pas. Alors que j’avais de la famille ici, que je connaissais bien le Puy-de-Dôme, je n’avais jamais entendu parler de tout ça, je ne savais pas qu’il y avait de la musique, des danses, je ne savais pas qu’il y avait des bals… J’ai grandi à Lyon, mais mon grand-père est de Thiers. Mes oncles et tantes ont tous vécus ici, l’été on venait chez mes grands-parents qui ont un château à Saint-Guéry. J’étais très en réaction à ça, à cette culture familiale très bourgeoise… La musique trad d’ici n’existait pas dans cet héritage. Je n’ai pas rencontré ce truc là avant ma formation au cefedem, et à partir du moment où j’ai compris ce que c’était, j’ai eu un déclic. Tout un pays que je pensais vide est en réalité complètement plein. Et ce n’est pas que du passé. Ce sont des gens qui font des choses maintenant.
Immédiatement, j’ai ressenti le besoin d’apprendre à chanter des chansons trad.
Comment t’y es-tu pris pour aborder ces musiques ?
En fait, je me suis retrouvé avec un violon de façon fortuite. Y avait un type qui vendait des violons à 60€ sur internet, et je m’étais dit que ça pourrait être pas mal pour enregistrer des bourdons. J’ai eu un violon et pendant 2 ans j’ai grattouillé dessus. Et je me suis mis à aller souvent au Gamounet*, je suis allé à des bals, des festivals…Et j’ai écouté beaucoup de collectages, depuis le début, parce que ça me parle énormément, la musique enregistrée…Surtout que les supports racontent beaucoup de choses, au delà de la musique. Une fois que j’ai eu emmagasiné beaucoup de choses, je me suis dit : « j »ai un violon, j’ai qu’a jouer les quelques morceaux que je connais » . En jouant très très lentement, ça a marché. Tout l’été, j’ai joué quasiment tous les jours parce que je voulais y arriver. A la fin de l’été, j’arrivais à peu près à jouer deux morceaux. Ça a démarré comme ça.
Et comment tu passes de tes débuts au violon à un album complet à la sauce « Sourdure » ?
Petit à petit, ce que je travaillais avec le violon et ma voix a rejoint progressivement tout ce que je développais en musique électronique, en particulier un travail sur la répétition et le son continu, que je développais déjà dans le duo Kaumwald.
Ça a mis beaucoup de temps, mais ces deux univers qui existaient séparément chez moi se sont finalement rejoints. D’un coté, je faisais des sessions où je jouais du synthétiseur modulaire comme si c’était un instrument acoustique, et de l’autre je commençais à enregistrer des nappes de violons superposés à la place des synthés. Le timbre du violon a bientôt fait partie intégrante de mon langage, tout comme d’autres éléments que j’avais intégrés, comme le groove des marches de noces par exemple. Rythmiquement, ce groove rappelle lointainement celui du rap, où il y a un balancier, un élan, et à l’intérieur, une subdivision un peu ternaire du temps… Puis j’ai commencé à jouer du violon dans des groupes, à utiliser de plus en plus le chant, et en arrangeant des vieilles choses que j’avais enregistrées, je me suis demandé : « qu’est-ce que ça fait si je pose cette chanson traditionnelle là dessus ? »
J’ai pris « Marion Dins son Jardin », je ne sais plus comment s’appelait la dame qui la chantait, mais elle avait une carrure entre du binaire et du ternaire dans le nombre de pieds, enfin ça tournait bizarrement… Ça m’avait beaucoup plu, alors je l’ai un peu modifiée pour la faire rentrer sur une rythmique un peu marocaine, que j’avais enregistrée avec une vieille guitare classique désaccordée. Ça évoque un peu les instruments à cordes d’Afrique du Nord. C’est drôle parce que c’est la logique du collage. Ça fonctionne par essais. »
La suite, c’est encore un an de travail « par essais » pour aboutir à l’album qui vient de naître avec fracas. Suivant implacablement « la logique du collage », Ernest a rapiécé des piles entières de fripes musicales portées par les hommes et les femmes des campagnes d’Auvergne, en réaffirmant avec panache la tendresse fragile des interprétations sur mesures, hors mesures. A aucun moment la musique de Sourdure ne sombre dans l’apanage de l’événement, à aucun moment elle n’exprime l’intention d’une rupture avec la sincérité de ces musiques du quotidien, ni avec une certaine contemporanéité des timbres et des modes de fabrication.
Puis c’est un travail solitaire chez lui, au studio du GRIM (Groupe de Recherche et d’Improvisation Musicale) à Marseille, et à la Péniche à Lyon, auquel il a convié ses amis, Clémence Cognet (voix, violon), Jacques Puech (cabrette) et l’artiste Bruxellois Èlg (machines), qui donnera naissance à un album fini d’être édité, pressé et imprimé grâce aux labels Tanzprocesz et ASTRUC.
Il en résulte que cette musique qui nous paraît tout à fait inédite et nouvelle, étrange et lointaine, n’est guère autre que celle qui coule secrètement sous nos pieds et fait ronfler le sol depuis toujours, celle qui rejaillit soudain des entrailles de la terre avec l’aspect des vieux fleuves, et à qui l’on accorde volontiers tous les charmes de la source pure, entre puissance et frêlure, transe et sourdure.
Résurgence : Sortie à l’air libre d’écoulements souterrains provenant de l’infiltration des eaux de pluies, alimentée en partie par au moins un cours d’eau de surface.
Wilton.
Pour écouter SOURDURE : https://sourdure.bandcamp.com/
* CEFEDEM : Centre de Formation des Enseignants de la Musique Rhônes Alpes
** La Monte Young : Compositeur de musique contemporaine et artiste expérimental, pilier du courant « Drone Music ».
Yeah!
Le site de Tanzprocesz : http://tanzprocesz.free.fr
Bravo et merci pour cet excellent article !