Mon cher Eugène, il eut mieux fallu ne pas le faire ou que tu te sois cassé une jambe au lieu d’avoir fait un choix pareil.
Justement, je n’avais pas le choix.
Bien sûr que si puisque tu le savais. Tu as pris le risque donc cesses de pleurnicher sur mon épaule.
Eugène Leconte n’avait de pensées que pour son Eulalie, et Dieu sait si ces pensées étaient présentes et même encombrantes tellement il était envahi par elles. Le seul problème, en dehors de l’accord de la charmante demoiselle convoitée était qu’un autre prétendant du village voisin, un nommé Marius Versapuech avait également posé son dévolu sur cette même demoiselle.
Les deux hommes se connaissaient et possédaient des biens ou des fortunes équivalentes. Seul l’Eugène était originaire. Quant à Marius, natif à deux kilomètres au-delà des limites de la commune de la jeune fille avait cet handicap non négligeable qui plaçait son concurrent en pole position. Par contre, notre étranger au territoire qui avait vu naître et se développer son Eulalie avait pour lui d’autres arguments. Des arguments de poids car ce dernier avait menacé quiconque se placerait en travers de son projet, celui d’épouser sa voisine, de clocher.
Les deux hommes se connaissaient et à plusieurs reprises s’étaient frotté les côtes pour ne voir aucun des deux sortir vainqueur de ces rixes ridicules qui consistaient à se battre pour une prétendante qui n’avait pas exprimé sa préférence à l’un ou à l’autre des belligérants et qui aurait pu avoir un amant bien éloigné de nos deux coqs de village… En fait, elle observait ne sachant de quel côté pencher, car à vrai dire, les deux parties ne lui étaient pas indifférents.
Face à ce duel où les deux hommes qui se connaissaient n’arrivaient pas à se départir, elle choisit d’attendre.
Marius commit l’erreur de tirer quelques coups de fusil, et face à cette attitude sauvage, l’Eugène emporta la main de la belle.
Lorsque notre Marius apprit la nouvelle et qu’il prit connaissance de la publication des bans, il fit savoir que les choses ne se passeraient pas ainsi. D’aucuns dirent même qu’il avait décidé de massacrer tout le monde et que la noce serait noce de sang.
Tout le village fut en émois et tous portèrent en eux cette inquiétude car le Marius était capable de tout d’autant qu’il avait disparu depuis quelques jours et que ces voisins ne savaient pas où il se trouvait si ce n’est que son fusil et ses cartouches avaient disparu avec sa personne.
Le mariage eut lieu dans une angoisse totale que révèle la photo prise à cette occasion.
Tous ceux qui possédaient une arme étaient là. Ceux qui avaient fait la guerre de 70 et ceux qui s’apprêtaient à faire celle de 14-18. Ils étaient là, l’arme au point pour parée à toute éventualité. Jamais marié n’avait eu une telle protection. On avait pensé les placer devant les mariés mais l’image aurait été trop étrange pour faire office de souvenir. On plaça donc cette armée locale derrière la famille rassemblée en mettant plus de fusil du côté de la mariée car tout le monde pensait que se serait à elle qu’il s’en prendrait en premier pour ne pas l’avoir choisie. Cette photo raconte bien cette peur où Eulalie tient son nouveau marié en lui pressant le bras de peur de le perdre avant même d’avoir consommé cette union. Les enfants de la famille furent placés devant comme protection ultime se disant qu’aucun homme serait capable de prendre le risque de blesser un enfant innocent. Le garçon protégeait la belle-mère du marié et l’enfant serrait son chapeau en sachant le danger qui les guettait. La belle-mère inquiète pour sa personne le tire à elle pour que ce bouclier humain la protège au maximum même si le frère de la mariée se retrouver à découvert. Lui, il scrute l’horizon pour ne pas être pris au dépourvu si le Marius faisait irruption au milieu de la fête. De cette même famille, les deux femmes placées à l’extrême droite sont elles aussi dans l’angoisse de cet épisode de la fête, pétrissant leurs mains pour ne pas que la peur les submerge.
Du côté du mari, deux autres enfants servent également de protection. La grande fille qui, elle aussi est au courant de l’affaire, se mord les lèvres d’inquiétude et se dit que ce photographe devrait accélérer le mouvement pour que l’on gagne l’intérieur de la salle du banquet car dehors et placé en groupe devant l’église est le meilleur moment pour que le Marius réussisse son coup. Seule la petite fille n’a pas peur car personne n’a jugé bon de l’informer des dangers qu’elle encourait. Elle fait office de pare balle sans en connaître les tenants et aboutissant et c’est pour cette raison qu’elle est la seule à sourire à l’objecteur.
La partie la plus jeune de la famille s’est placée derrière les mariés après avoir considéré que c’était la position la moins à risque.
Pour attirer l’œil de l’éventuel tireur, on plaça l’oncle et la tante venus de la ville dans l’encadrement de la porte pour qu’ils puissent faire office de première cible.
Cet oncle et cette tante n’étant pas vraiment appréciés du reste de la famille, la perte serait moins grave même si les deux personnes placées sous eux étaient atteintes car ils n’étaient autres que les parents de la fameuse tante.
La photographie prise, rien ne s’était passé et tout ce petit monde put rejoindre le lieu du repas.
Ce n’est que le lendemain, qu’en allant chercher ses bêtes, un voisin du Marius le trouva au pied d’un arbre l’arme placée entre ses jambes et le visage d’échiqueté par le coup qu’il s’était donné.
Dieu est toujours trop faible pour peser sur le monde
André Ricros