Jean, p’tit Jean

Cette chanson drôle est interprétée par Marcel-Emile Gourbeyre du Mas de Bertignat, enregistré par José Dubreuil et Sylvie Berger le 3 novembre 1987.

Il s’agit d’une version d’une chanson répandue sur tout le territoire francophone, et que l’on retrouve couramment dans le Massif central. Aujourd’hui, la moralité douteuse des paroles ferait dresser les cheveux de plus d’une tête. Mais nous pensons, ceux qui fréquentent assidûment et quotidiennement ces chansons, qu’il ne faut surtout pas les prendre au mot.

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Les chansons sont les exutoires des peurs, des excès, de l’immoralité. Elles sont aussi l’occasion de rire de tout, de ne pas se prendre au sérieux, de détourner la réalité, de la recouvrir d’un voile loufoque et absurde, ne serait-ce que pour mieux l’appréhender. Le ton du chanteur nous dit à chaque syllabe : « qu’est-ce que j’en dit, des bêtises! ». Cette chanson n’est pas misogyne. C’est une satire mordante, à la façon de la farce populaire (Polichinelle et compagnie…) elle décrit sous des traits grossis les faiblesses humaines de chaque personnage : il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Et ça fait rire.

Mais il y a autre chose : la mélodie, le son de la voix, le rythme, le phrasé. Bref, la musique. Très curieusement, celle-ci semble nous raconter une autre histoire.

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La mélodie se déroule sur cinq notes seulement (ré sol la si ré) plus une de passage dans le refrain (fa#). C’est un mode défectif, c’est-à-dire une gamme dans laquelle il n’y a pas toutes les notes. Ici, la mélodie et l’agencement des notes est très proche de la musique des cors de chasse, instruments qui présentent le même mode défectif. De nombreuses chansons sont basées sur ce mode « cor de chasse ». Ce n’est pas un hasard, cela a à voir avec les harmoniques naturelles, phénomènes physiques de résonance dans l’espace.

Une telle mélodie se prête donc particulièrement bien à une interprétation à pleine voix. Le chanteur l’interprète à la façon d’un chant de labour ou d’un « bailera » (chant de berger). On décèle un certain « rubato » (rythme libre) introduit par les points d’orgue et les légères accélérations sur les croches et les triolets qui les précèdent. La voix présente un son homogène et un grain épais. La tessiture courte amène à la répétition des motifs mélodiques et à une certaine lancinance, soutenue par les bourdons qui correspondent aux notes tenues. Ces bourdons ne sont pas matérialisés, mais on les entend dans la mélodie et le phrasé oscillant entre mesure et rythme libre.

Cette « mise en espace » de la chanson lui donne une certaine profondeur. La farce qui y est racontée subit le même traitement stylistique qu’une chanson triste ou plus sérieuse. Ce décalage entre style et sens nous semble un élément essentiel de la tradition orale chantée. On ne nous dit pas seulement que ce qu’on nous dit, nous avons toujours l’espace suffisant pour y entendre autre chose.

La porte de la chanson est ouverte…

Eric Desgrugillers

4 Comments

  1. Laurent BOITHIAS

    Amusant. Ce collectage fut sans doute le premier que j’ai écouté, étant jeune, quand j’avais 12-13 ans. La cassette « Musiques du canton d’Olliergues » était rangée dans l’armoire du salon de chez mes parents…
    A l’époque, je m’amusais avec leur chaîne Hifi à lire ce morceau en même temps qu’un autre des Chemical Brothers ! J’enregistrais ce « mix » sur une autre cassette et envoyais le tout à mon cousin, par la Poste, à Rouen, pour rigoler !
    J’adore ce chanteur. Et comme toujours, l’analyse d’Eric est très intéressante !

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