Les noces tragiques

C’est le titre que donne Jean Dumas à la chanson qu’il enregistre le 28 septembre 1958 auprès de Virginie Granouillet, dite « La Baracande », dentellière et chanteuse à Mans, commune de Roche-en-Régnier dans la Haute-Loire.

Cette chanson est très répandue dans la tradition orale francophone, parfois sous le titre usuel « les tristes noces », et a été notée ou enregistrée à de nombreuses reprises. La version que chante Virginie Granouillet se retrouve quasiment à l’identique, tant sur le plan mélodique qu’au niveau du texte, dans la bouche d’autres chanteurs du même territoire. La Baracande impose sa signature dans son interprétation, en particulier en ce qui concerne le phrasé mélodique.

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Voilà la base mélodique sur laquelle cette chanteuse-dentellière brode. Afin de donner une idée plus précise de ses particularités, nous avons notés tous les ornements musicaux sur le texte en entier.

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On entend que Virginie Granouillet est constante dans la distribution de ses effets musicaux. Ce sont toujours les mêmes notes qui sont vibrées avec la voix dans le déroulement du couplet. Les respirations sont également régulières. Les ornements n’interviennent pas systématiquement mais ont eux aussi leur place. Dans cette organisation très précise, la chanteuse se laisse la possibilité de varier, d’introduire de la surprise, et ce avec beaucoup de finesse. Une note vibrée peut-être à un moment tenue, allongée, pour introduire une tension dramatique.

On notera l’ambiguïté du mode très représentatif du monde musical de cette chanteuse. Les deux parties présentent des couleurs modales différentes, non pas parce que deux modes s’alternent, mais parce que quelques notes bougent dans leur hauteur de façon répartie : la tierce et la septième sont basses dans la première partie;  la septième est absente de la deuxième partie, la tierce remonte et la quarte également :

mode Virginie Granouillet

Malgré la quantité des notes tenues, la chanson avance, l’histoire se déroule sous nos yeux : par exemple, la petite formulette qui sert de refrain : « chantons rossignolet » est toujours accolée au vers précédent, sans respiration, dans une continuité directe. Les paroles expriment des faits, rien que des faits, et non des sentiments. Ces derniers sont réservés à l’auditeur, libre d’accueillir en lui les images mentales qu’il souhaite tout au long de la chanson.

Il reste la voix, le son de la voix, plein, ample, épais portant l’émotion et les sentiments non exprimés dans le texte, mais sans en faire trop. Juste ce qu’il faut pour suggérer à celui ou à celle qui l’écoute l’enjeu possible, la profondeur possible, sans l’imposer tout en laissant une forte empreinte. Ainsi, de façon très spontanée et expérimentée, Virginie Granouillet nous rend cette chanson avec ce qu’elle raconte comme si c’était la nôtre, après l’avoir empruntée.

Eric Desgrugillers

Pour aller plus loin :

  • consultez les chansons de Virginie Granouillet :  ici

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