J’approche de la Sioule qui descend dans la vallée qu’elle s’est taillée à grand peine. Aujourd’hui elle jouit d’une semie retraite où ses eaux s’étalent au mieux, butant uniquement ça et là sur des obstacles que la vigueur de ses ancêtres ne sût vaincre.
Elle coule et pour celui qui oublie le reste du monde, elle parle toute seule… c’est l’âge.
Elle parle en déroulant des sons semblables à un enregistrement passé à l’envers et qui porterait en lui les quelques secrets oubliés. Elle parle encore et toujours, utilisant selon les moments et les lieux une voix claire qui scintille dans la gouleyance de ses eaux ou une voix grave de glougloutements sombres comme montant de ses profondeurs.
Tout en m’approchant d’elle, je devine une autre eau plus souple, plus légère, presque en vapeur qui arrose l’air à tel point que je me suis demandé à quoi pouvait bien jouer la rivière. Quel enfant était-elle pour s’amuser ainsi avec ses propres eaux, les lançant en l’air, poudreuse vertu troublant son image et la faisant disparaître derrière un voile de pudeur qui lui donne alors cette allure de femme nue se baignant dans sa beauté.
En fait, il n’en était rien, il me parvenait simplement une pluie fine qui m’apparut tout d’abord inoffensive et qui me mouilla, pénétrant la moindre surface de matière à sa portée.
La pluie, après s’être annoncée avec une certaine élégance, j’eu le temps de sortir mon Kway.
Dans l’instant qui suivit la pluie tomba verticale en grille penchée comme un champ de seigle poussée par le vent.
Elle était là, régulière, tenace et froide.
La rivière semblait soudain plus confuse : une rencontre d’eau où leurs discussions devenaient incompréhensibles.
La surface de la rivière était constellée d’impacts et elle perdait petit à petit sa propre parole pour laisser s’exprimer cet invité de dernière heure qui, semble-t-il avait beaucoup à dire des ces voyages et de ces espaces parcourus à dos de vents impatients et versatiles.
Désormais en elle, je me trouvais dans un espace clos, enfermé dans une cellule où les barreaux bougeaient sans cesse.
A la recherche d’un gobage, je quittais de temps à autre cette surface pour regarder les rives et au plus loin les bois et les bordures de verdure qui construisaient ce paysage.
La terre, de temps à autre, perdait quelque branche ou laissait partir sur des flots inconnus des pétales de digitales ou d’épilobes.
Mes pas dans l’eau semblaient ralentir. J’avais l’impression que le paysage se déroulait devant moi, me traversant comme un fantôme. Il roulait au rythme d’une charrette dont le propriétaire se serait endormi.
Quant à la pluie qui modifiait toutes les images et les formes, elle venait de trouver toutes les failles de mes habits imperméables et commençait à s’installer au chaud de mon corps
Les truites avaient su se préserver de ce bombardement de nourriture que les gouttes entraînaient avec elles après avoir frappé des insectes de plein fouet dans leurs dernières tentatives de s’abriter.
Assis sur le bord à l’abri d’un parapluie de branches recouvertes de larges feuilles, je ne bougeais plus.
Dans cette position, je gardais les yeux fixés sur un ensemble, eau–berge, qui me plongea dans un état de somnolence.
Alors que l’espace était plein, un chevreuil traversa les épilobes et pénétra dans l’eau comme une fille qui a décidé de se faire remarquer par tous ceux qui déjà la regardent.
Dans des gestes maniérés, presque précieux, il mit un sabot puis l’autre. Au milieu du courant, il s’arrêta et se pencha pour regarder toute cette eau qui passait devant lui. Il but ainsi comme on déguste un « Gevrey Chambertin de 1951 » puis pour en garder le goût, il se redressa.
Prenant des allures de princesse surprise par une caméra cachée, il tourna doucement sa tête dans ma direction, me regarda, sembla pâlir et posa dans ses yeux les contours d’une mélancolie que je ne pus comprendre. Cette expression transmise, je ne pus lui communiquer que mon intention de ne pas bouger.
D’un bond, il disparut dans les épilobes qui tremblèrent encore un long moment après son passage.
les passeurs sont-ils plusieurs, où s’en est un qui écrit ? dans tous les cas, c’est un grand plaisir de vous lire! magnifique…