La pierre se perdait. Assis en tailleur, il mesurait le temps en frappant un minuscule ciseau poli à l’aide d’une massette tout aussi érodée que la peau de ses quatre vingt onze ans.
Depuis sa retraite, il sculptait grandeur nature sa famille, les personnages de l’histoire apprise sur le banc de l’école communale et tout un éventail de basse-cour. Que ce soit dans la cabane qui jouxtait sa maison, à droite de l’allée principale du cimetière, au bord d’un chemin ou dans un bois, il taillait la roche.
Arrivé à vélo dans ce village de St Salvadour en Corrèze, je n’en croyais pas mes yeux – je venais pour écouter un chanteur et je découvrais un sculpteur – je venais écouter la parole d’un seul individu et j’entendais la mémoire de tous.
Cet homme aux ailes repliées par l’âge, avait observé chaque éclat de granit, les avait chargés d’une partie de son histoire puis les avait replacés face au soleil.Il m’a montré les occupants de son atelier où son effigie trônait avec celle de son copain :
– Les meilleurs danseurs de bourrée
– Les chanteurs des places et des cafés
Je retirais la cabrette que j’avais enroulée autour du guidon de mon vélo et, debout alors qu’il s’était installé sur une chaise, je lui jouais tout ce que je savais, le pavillon de mon instrument parfaitement placé contre celui de son oreille. Les yeux fermés, il s’agita et disparut après avoir oublié de m’embarquer dans son voyage.
Ce soir-là, la cantale baroque du ruisseau fut surprise dans sa gouleyance par l’harmonie qui s’échappait du faîte de la cheminée, du bas de la porte et de la fenêtre entrouverte.
Sur le chemin du retour, franchissant la pente caillouteuse qui les ramenait à leur véhicule, nos deux compagnons s’étaient à leur tour transformés en gastéropodes, chargés d’images plus légères que ces balles de foin roulaient du haut des prairies à l’ombre discrète de la grange.
Texte inspiré par André Pocard, Saint-Salvadour (19)