A sa retraite, il quitta son village pour habiter avec son fils à la ville.
Lorsqu’on a passé sa vie sur le plateau d’Allanche, dans un petit hameau nommé Mouret-de-Chalinargue, à faire de la menuiserie et du violon, la cité aurillacoise doit vous apparaître comme un animal tentaculaire et impénétrable.
Quelle place trouver – ou se fabriquer – dans un monde inconnu et si loin de ses habitudes ? Petit à petit, à force de balades, les bords de la Jordanne font office de ports avec leurs bancs alignés, les allées de marronniers, et tous les anciens qui, comme lui, promènent leurs âges au bout d’une canne ou d’un parapluie.
La régularité des itinéraires et des horaires font que les promeneurs se repèrent, se saluent, se racontent et cherchent inévitablement à se mettre à l’abri d’un verre de rouge, pour offrir la multitude de détails qui peuplent leurs histoires.
Les bistrots sont aussi nombreux que les bancs mais ne se ressemblent pas pour autant. De rencontres en rencontres, le lieu idéal se repère : on peut y boire, y parler, y jouer aux cartes, y rester pour voir et écouter et bientôt pour y faire de la musique.
Ce bistrot idéal, c’est « Chez la Lulu », rue de la Bride. Passionnée par la musique du « pays », elle chante en « patois » toute la journée et vous fait manger pour trente cinq francs comme on ne peut plus l’imaginer. Elle fabrique tout sur place, élève ses poules, ses canards et ses lapins dans une maison voisine et vous fait mourir à chaque repas.
Là, Camille Beaufort a sa place qu’il vient réchauffer tous les jours. Parfois à la demande ou pour son seul plaisir, il amène son violon et joue pour tous les clients. Tout le monde chante, danse et, à la fin de l’après midi, il referme sa boîte pour rejoindre l’appartement de son fils.
Tous les jours, il change de monde, enjambant une frontière invisible qui circule transparente dans la ville.
« Chez la Lulu », c’est comme dans son village. « Lulu », c’est un village à elle toute seule, qu’elle construit avec l’incroyable énergie de ses souvenirs.
Dans ce village, tous ceux qui le veulent installent leur baraque pour une heure, pour un jour, pour toujours.