Depuis le temps, tout se déroule d’égale manière sur le plateau de l’Aubrac. Tout y est fait de mains posées, mises à plat pour que le vent passe en glissant sur les herbes ou sur la neige.
Il était écrit qu’il serait là pour l’écouter et l’entendre sans cesse comme une punition, tellement rien de sa vie de cantales (Vacher) ne lui paraissait réversible.
Tout était là sans fin.
Tout roulait sur les mêmes coups de pédales, telle une chaîne de vélo revenant à son point de départ, pour le pousser sur le sentier de sa vie. Un chemin d’habitudes qui, depuis le temps, se déroulaient d’égale manière.
Autour de lui, l’herbe se dresse sur ces pattes de derrière, secouée, mise en vague dans un espace où de gros œufs de granit gris vert affleurent de terre formant ici un troupeau, là un groupe de poussins poursuivant une mère monumentale, ou encore, posés de telle sorte que l’on pourrait penser à un tombeau d’avant les Hommes, à des traces d’alignements faites par des géants, à des dés jetés au vent, à des haies de plantes pétrifiées, à des fruits trop mûrs, des os disposés en énigme, des pas, des marques, des signes, des messages, du moins un immense puzzle, une charade sans fin pouvant occuper l’esprit du plus curieux des hommes jusqu’à la fin des temps. Un temps où le vent jamais ne s’arrête, continuant de creuser ses sillons, de graver sa musique, l’harmonisant d’un rocher à l’autre, rythmant cette mélopée continue et lancinante que Pierrounet écoute et écoute encore.
– Le son du vent lorsque tu l’as entendu toute ta vie dans les montagnes d’ici, c’est le même son que celui de la cabrette. Comme si à elle seule, elle contenait tout le vent de l’Aubrac.
Du bal à la montagne, je n’entends pas la moindre différence… C’est pareil. Les bons cabrettaïres comme Angles del Mazut, Cros du Vialat, Sébrier de Cantoin, Ruols de Sissac, ils ont dû en entendre du vent car leurs bourrées et toute leur musique, c’est comme le temps d’une estive concentrée dans une seule veillée.
Ce son va tellement à l’intérieur de moi que je suis sûr qu’avec le temps, même sans le vent, je l’entendrai, je serai le vent en marchant dans la montagne, seulement en marchant, seul sur la montagne, sans la montagne, sans les pas, sans moi, sans rien, … que le vent.