L’amour se glisse dans le pli de ses yeux…s’ils sont bleus, c’est tant mieux. Recouverte d’un camaïeu de noir, Marie-Jeanne Besseyrot semblait se déplacer sur une fine planche à roulettes. De dos, trônant comme détaché de la voûte de ses épaules, son chignon laissait échapper les étincelles de ses épingles touchées de plein fouet par le soleil de la vallée du Lot. La cuisson des bruyères venait jusqu’au fond des narines soutirer un éternuement.
La porte franchie, nous nous placions dans le compromis de lumière et de chaleur que proposait la plus grande des fenêtres qui penchait vers le ruisseau bleui par le tourment des libellules.
Son rire servait de préambule. Elle laissait tomber sa tête dans ses mains que le travail avait pétries et dans la poterie de ses dix doigts, elle plongeait en elle, elle plongeait en eux. D’un coup, prête, elle était posée droite sur le banc, les traits de son visage à peine remontés sur la margelle du puits où elle avait, semble-t-il, disparu après avoir quitté sans garde celle de l’histoire et celle des siens.
Que lui avaient-ils dit ?
Que lui avaient-ils donné ?
Elle semblait chargée de matière explosive qui lui brûlait les lèvres, lui agitait les mains, la faisait vibrer dans tout son corps.
Le départ était donné par ma simple écoute lorsque cette dernière avait suffisamment associé le silence. Ses premières notes déjà préparées m’arrivaient, elles étaient toutes attachées par un fil transparent qu’elle tissait pour protéger des espaces où plus rien ne pouvait m’atteindre. L’histoire, les histoires, celles de la chanson, la sienne, roulaient sur la nappe de la table qui nous séparait.
Tout au long de cette chanson, dans le tunnel du temps et de l’univers qui était le sien, j’étais assis à l’arrière de cette frêle embarcation qu’elle conduisait en aveugle.
Au bout de quelques tours de terrain, la chanson s’arrêtait et dans un sourire essoufflé, elle disait :
– Et voilà.
Je mettais pied à terre pour retrouver un semblant d’équilibre avant de bondir dans le véhicule qui se mettait en marche pour, quelques secondes plus tard, ne laisser que deux traces fumantes.
Nous avons battu le gazon au point de le faire disparaître, nous avons creusé la terre jusqu’au fond du ciel et là, les pieds dans l’eau, elle m’a tendu la main pour me faire descendre, s’est défaite de son harnais pour me le transmettre et après un regard où des pans entiers de vie circulent, elle s’est installée confortablement sur le siège, avant de faire claquer très haut au-dessus de ma tête le fouet de son propre plaisir à se retrouver partiellement dans la poussière que je soulevais.
Les sachant, je les ai chantées.
Les sachant, je les ai déformées.
Marie-Jeanne riait de tout cela et se mettait à aimer toutes les miettes de la différence. Elle écoutait sa chanson, la main sur son tablier et de temps en temps sortait un grand mouchoir blanc où elle faisait semblant de se moucher derrière ses petits grains de son, le meunier de la chanson…