Persuadé qu’un vrai musicien est celui qui possède un instrument, Fernand Théron rassemble ses économies et commande à Manufrance un accordéon diatonique, perloïde et marqueté, deux rangs, huit basses.
– Nom de Dieu, avec un biniou comme celui là, je vais devenir la vedette de la vallée.
De Pervinquier à Couesque, le Haut-Aveyron fut la victime ou le théâtre d’une rencontre qui se transforma en chemin de croix parcouru à genoux sur des cailloux et des tessons de bouteilles, car l’apprentissage ne fut pas une simple affaire.
Pris par le bon bout, l’accordéon n’avait apparemment rien d’anormal. Par contre, notre artiste en herbe n’avait que très peu d’intérêt pour la justesse et l’harmonie qui ne semblaient pas faire partie de sa culture. Seule la cadence primait pour accéder à la danse.
Ayant eu très vite la certitude que l’instrument était rétif, son système devint très vite un genre.
– J’ai mis le temps mais j’ai réussi à le dresser.
Partant d’un chant qu’il interprétait dans les grandes lignes de ce qu’il aurait pu être, il posait ses doigts au hasard du clavier en enfonçant les boutons sur les accents de la mélodie et frappait à l’opposé les basses en prenant soin de ne percuter que les deux touches extérieures placées en deuxième et troisième position au milieu des autres possibilités qui lui étaient offertes : un sommet de dissonance.
– Avec ce système, le chant se détache bien de l’accompagnement.
Un style était né permettant avant tout à cet artiste qui n’aurait jamais osé chanter a capella, d’exprimer un univers musical où la personnalité troublante de sa brocante intérieure nous était donnée à voir avec une générosité et une conviction exceptionnelle.
La musique nous parvenait tout droit d’une pensée atypique, où il avait réussi à atteindre une forme oubliée de la perfection, ouvrant un espace déconcertant de l’art.
Texte inspiré par Fernand Théron, Pons (12)