Retour sur un après-midi d’août 1991 à Pérol sur la commune de Champs-sur-Tarentaine (15) où Éric Cousteix et Jean Frébault sont allés jouer avec Joseph Perrier. Voici leurs souvenirs de ce moment et de ce personnage ainsi que l’enregistrement des moments musicaux.
Quand et comment avez vous fait la connaissance de Joseph Perrier ?
EC : La première fois que j’ai vu Joseph Perrier, c’était en 1982, lors d’une fête du violon à Marchal. À ce moment là, je ne jouais pas du tout de violon, je débutais à peine l’accordéon et j’étais venu écouter la musique des violoneux. C’est Germaine Perrier qui était venue me voir ce jour là et m’avait posé tout un tas de questions. J’ai vraiment rencontré Joseph en 86 en faisant mon service national chez les musiciens routiniers Auvergne. J’avais en charge l’organisation d’une fête du violon à Champs sur Tarentaine . Je suis donc allé voir les violoneux à cette occasion pour leur demander de venir à cette fête et parmi eux, il y avait Joseph.
JF : Pour moi, c’est un peu plus décalé car je suis Nivernais d’origine, vivant à Lyon et ayant des attaches en Auvergne grâce à mon épouse. Nous avons acheté il y a longtemps une maison à Égliseneuve d’Entraigues au sud du Puy de Dôme. En outre, je suis un musicien amateur et autodidacte. Un jour des années 70, j’ai eu un coup de foudre pour les musiques d’Amérique Latine et j’ai eu la chance de faire des voyages là-bas d’où j’ai ramené plein d’instruments. À mon retour, alors que le mouvement folk était très puissant, je me suis naturellement intéressé aux musiques traditionnelles françaises ; c’était un peu idiot de ne voir que ce qui se passait ailleurs. J’avais envie de jouer d’un instrument de tradition française et un jour, dans les Cévennes, je suis tombé sur un stage de vielle à roue et j’ai eu un coup de foudre pour cet instrument. J’ai acheté une vielle et pris des cours à Toulouse notamment.
Etant en vacances à Égliseneuse, j’ai voulu rencontrer des musiciens du coin. J’avais entendu Joseph Perrier sur le disque « Violoneux et chanteurs tradtitionnels en Auvergne » d’Alain Ribardière et un jour il est venu jouer à Egliseneuve. C’est timidement que j’ai fait sa connaissance en 1980. J’étais très heureux de rencontrer un violoneux car j’avais été marqué par un disque excellent de Claude Flagel et John Wrigth où ils mêlaient violon et vielle à roue avec un son enchanteur. Il m’a ensuite invité chez lui et nous avons beaucoup échangé, il m’a appris un grand nombre d’airs Auvergnats avec la « couleur de l’Artense » .On avait plaisir à jouer ensemble car j’apportais l’aspect bourdonnant ainsi que la rythmique et lui la mélodie avec ce son si caractéristique. Il était en tout cas très curieux et friand de nouveaux airs, je lui en ai appris quelques-uns.
En juin 91, lors du mariage de ma fille, j’ai proposé à Joseph et à Eric de mener le cortège de noce. Ils ont même fait danser quelques bourrées sur le parvis de l’église. C’est cet été là que nous avons fait cet enregistrement à Pérol chez Joseph Perrier.
Comment avez vous préparé cet enregistrement ?
EC : j’avais rapporté, il me semble un DAT de l’AMTA
JF : on avait eu l’occasion de faire le boeuf tous les 3 à plusieurs reprises déjà. Nous avions grand plaisir à partager du répertoire et nous avions une vraie complémentarité entre les violons et la vielle. J’aimais particulièrement la bourrée à Jean Pons car ne pouvant jouer la mélodie dans son entièreté du fait de son ambitus, j’ai dû trouver une deuxième voix qui me permet de suivre la mélodie et donne une couleur singulière au morceau.
EC : Pour ma part, j’étais encore dans une phase d’apprentissage du violon avec Joseph ; lui jouais et moi j’essayais de faire au mieux en l’écoutant.
JF : Dans le trio, c’était le violon qui dominait au niveau de la mélodie. De plus, Joseph jouait de façon à imprimer immédiatement une cadence telle qu’on avait envie de se lever pour danser. Je me servais de cette cadence pour poser mon chien, ça me stimulait et j’avais l’impression que Joseph aimait bien cela. Sans avoir les mêmes racines territoriales, nous avions un grand plaisir à échanger et à jouer ensemble.
Pour revenir à ta question, nous avions juste décidé de se voir et de jouer ensemble et j’ai demandé à Eric, face au plaisir procuré par nos rencontres, de prendre le magnétophone de l’AMTA pour laisser une trace. J’avais tenté au début, d’organiser un peu cet après-midi en cadrant le nombre de reprises, les débuts, les fins… Mais Joseph était complètement indiscipliné à ce niveau là et il lui était impossible de rentrer dans cette organisation de studio. Par exemple, sur un des morceaux, il était prévu que je joue 2 fois la mélodie seul et que les violons me rejoignent après. Joseph, un peu dans un état second, pris dans la cadence a eu envie de rentrer tout de suite et c’était bien comme ça… (rires).
Ce sont 2 mondes musicaux qui se rencontrent, l’un issu des musiques enregistrées, fixées, structurées cherchant à faire entendre des évènements musicaux choisis au préalable et l’autre des musiques de routine, des musiques spontanées…
JF : … c’est du brut de décoffrage spontané. D’ailleurs, il a en tête qu’un morceau doit être court, on le joue 4 ou 5 fois et nous, on poussait pour que ça dure un peu plus. Je proposais aussi parfois de reprendre le morceau car il y avait des endroits où ça cafouillait, comme on le fait en enregistrement. Il acceptait 1 fois, 2 fois, mais au bout de la troisième il était complètement saturé, il voulait passer à autre chose. Ce qui est drôle aussi c’est qu’à la fin, il dit qu’il n’en peut plus mais dès que je commençais un nouveau morceau, il reprenait son violon et c’était reparti !
EC : Ce qui était aussi remarquable chez Joseph, c’est qu’il fallait le pousser pour qu’il joue. Il se faisait prier un moment avant de sortir le violon mais une fois lancé, on ne l’arrêtait plus. Il était vraiment dans le plaisir de jouer et en même temps, il cherchait le morceau qu’il allait proposer ensuite. De fait, dès qu’il arrêtait un morceau, il en attaquait un autre.
JF : Il était vraiment dans une sorte d’extraordinaire créativité spontanée. Quand il débutait un morceau, je l’écoutais avant de jouer avec lui.
EC : d’autant plus qu’il avait sa manière propre de jouer chaque air.
JF : Il avait sa manière de jouer et aussi sa manière d’inventer. Je lui avais appris à l’époque une valse qui s’appelle « Vous reviendrez ». Il l’a très vite intégré et en a modifié la dernière partie. J’essayais lorsque nous jouions de reprendre ma version mais je me suis vite résolu à apprendre la sienne qui sonnait « Perrier » (rires), avec ce son, cette cadence, ces attaques et même cette ligne mélodique qui lui étaient propres.
EC : J’ignorais que c’était toi qui lui avait appris ce morceau mais il était du type qu’il affectionnait avec 3 parties et une ligne mélodique qui tricote un peu.
JF : Cependant, pour moi Joseph Perrier, c’était les bourrées et les marches de noce. Sa manière de les interpréter, de les faire sonner… de les chanter aussi en occitan pour en cacher un peu le sens grivois de certaines qui le faisaient rire.
Comment décririez vous le jeu et le son Perrier ?
(Silence et regards l’un vers l’autre)
JF : toi le violoneux ?
EC : Un son vraiment singulier – moitié son des violoneux et moitié influencé par d’autres univers musicaux. Il prenait tous les sons et jeux de ceux qu’il rencontrait, et les passait dans sa moulinette pour en faire quelque chose de génial.
JF : il y a forcément le son du violon qui reste un mystère pour moi mais je rajouterai une application au niveau de l’attaque des notes, des ornementations et de la cadence qui te soulèvent instantanément. C’est la combinaison de tous ces ingrédients qui le rend si unique. C’est à la fois la sonorité, la justesse et l’ornement. Il vérifie d’ailleurs son accordage quasiment avant chaque morceau. Lorsqu’il jouait avec d’autres, il se noyait dans la masse. Ce n’était pas un leader. C’était surtout en petite formation avec des gens qu’il connaissait bien qu’il se révélait.
Quel personnage était J.Perrier ?
(Silence)
JF : À travers la musique, on le caractérisait déjà beaucoup : ouverture, générosité, grande gentillesse, respect des autres… C’était quelqu’un qui « ne roulait jamais des mécaniques ». Dès que l’on rentrait, il était heureux de nous voir et il étalait son sourire. Il faut noter qu’il y a un personnage très important dans la vie de Joseph, c’est son épouse : Germaine. Elle avait un grand rôle dans la générosité du couple. C’était vraiment elle l’hôtesse qui était comblée d’accueillir des gens chez elle. Quand on arrivait, elle servait le café, les gâteaux et on discutait pendant une demi-heure avant de sortir les instruments.
EC : Joseph était vraiment toujours content de nous voir arriver. Je venais très souvent à l’improviste et j’étais toujours accueilli avec un grand sourire.
JF : je crois que c’est tout de même un personnage unique. Il y avait une ambiance vraiment particulière, très tranquille dans cette ferme de Pérol… Pour moi, il y avait une vraie résonance avec la musique.
Très bon article et des écoutes délicieuses, merci !