Dominique Manchon, pianiste et cabrettaire, nous fait découvrir « Tournebride » une bourrée extraite de l’album « En tornar* » qu’il a enregistré avec Yves Cassan à la cabrette.
Peux-tu nous présenter ce morceau « tournebride » ?
C’est une bourrée à 3 temps que j’ai composé en m’inspirant du style des bourrées de Haute-Auvergne. Il m’importait que ce morceau soit jouable à la cabrette, que la mélodie se développe donc sur un ambitus réduit (1 octave et 1 tierce mineure). L’autre paramètre incontournable était celui de la dansabilité du morceau : il fallait qu’il ait une bonne cadence, qu’il donne envie de danser.
Concernant le nom, il vient de l’ancien tournebride du château des Roches (63) qui permettait autrefois aux cochers de « tourner la bride » de faire demi -tour avec un attelage. Il a maintenant été remplacé par un rond-point, qui aurait supplanté le dernier tournebride du Puy-de-Dôme.
Le morceau est joué 3 fois dans le disque, nous pouvons peut-être détailler chacune des reprises ?
Sur les 3 reprises, la cabrette joue la mélodie et le piano développe un accompagnement différent à chaque fois.
- Sur la première, le piano double la mélodie de la cabrette à l’unisson. J’ai essayé ici de capter le jeu d’Yves afin d’être le plus synchrone possible avec lui, de reproduire des ornements de cabrette aussi pour me caler au maximum sur son jeu. A la main gauche, je joue un bourdon rythmique de sol et un petit contrechant.
On se rapproche ici d’un accompagnement de main gauche d’accordéon diatonique marquant les 3 temps de la bourrée (seulement dans ce cas, ce n’est pas un accord qui est joué mais un bourdon). Ici, le premier temps est marqué par un sol grave, le second à l’octave au dessus et le dernier par les 2.
On reste dans un schéma assez classique avec une mélodie qui se déploie et un bourdon rythmique qui l’accompagne.
- A la deuxième reprise, il n’y a que la main droite du piano qui joue un contrechant à la croche.
Le principe central de ce contrechant est le remplissage tant rythmique qu’harmonique, avec l’intégration d’une découpe fine à la croche. Je l’ai construit simplement, avec une pensée harmonique, en m’appuyant sur la note phare de chaque mesure dans la mélodie. Par exemple, la note centrale de la première mesure est un DO. Pour compléter l’accord, j’ai intégré dans mon contrechant les notes MI et SOL pour rendre le DO Majeur. Pour la seconde, on a un RE de l’accord de SOL 7. Le contrechant se construit donc avec SOL, SI et FA. L’ordre d’arrivée de ces notes n’est pas dû au hasard, j’essaie de fabriquer une mélodie quasi-autonome, qui a du sens.
- La troisième partie est construite sur des accords dissonants plaqués intégrant systématiquement un intervalle de seconde, des accords de septième majeure notamment. Dans la deuxième partie, le LA bémol amène une couleur un peu plus mineure.
Pour la main gauche, je reprends le jeu de la première reprise en transformant certains SOL par des DO et en changeant d’octave par moment. J’essaie de conserver un jeu rythmique avec cette main en marquant toujours le 3 temps et en passant même parfois à la croche.
Votre duo est assez atypique, il est rare d’entendre un duo piano-cabrette. D’où vient cette idée ?
Je suis pianiste de formation mais vers la fin des années 70 j’ai arrêté le conservatoire pour me tourner vers la musique « folk » avec l’envie d’avoir des instruments « transportables ». Je me suis donc mis au concertina et à l’accordéon diatonique pour pouvoir jouer avec des amis n’importe où sans contrainte. Pour autant, je n’ai jamais arrêté le piano et j’ai essayé rapidement de jouer des mélodies traditionnelles avec ce dernier. Dans l’idée d’un duo piano-cornemuse, j’ai un précédant ayant enregistré un disque en 1992 avec Marc Pollier au uilleann pipes. Cet enregistrement a été gravé sur CD et diffusé en 1997 par Coop Breizh (il est possible de le télécharger ici : http://www.coop-breizh.fr/telechargement-5/telechargements-10/musiques-instrumentales-bretonnes-celtiques-264/cd-reeds-hammers-1556/zoom-fr.html).
Nous nous sommes rencontrés avec Yves en 93 lors d’une tournée de la Compagnie du Bœuf Noir à Strasbourg. Depuis ce temps, à chacune de nos rencontres, nous jouions ensemble. Mon déménagement dans le Puy de dôme a facilité les choses. C’est avant tout une complicité entre nous deux, une aventure humaine qui nous a amené à jouer ensemble.
Dans votre disque, on retrouve souvent la cabrette jouant la mélodie et toi accompagnant au piano. Comment conçois-tu l’accompagnement en musique traditionnelle ?
J’essaie de toujours être au service de la mélodie, c’est le cœur de ces musiques et il ne faut pas la noyer. Je crois qu’en réalité mon rôle de pianiste accompagnateur est complètement à l’inverse du jazz : on ne se base pas sur une grille d’accords sur laquelle on improvise mais on part de la mélodie et on cherche la meilleure manière de l’accompagner. On peut faire des bourdons, des contrechants, une harmonie, il existe de très nombreuses manières d’envisager l’accompagnement. On a la chance d’avoir de très belles mélodies, nous devons les mettre en avant.
Le piano et les musiques populaires
En Auvergne, il y a déjà eu des expériences de rapprochement entre le piano et la musique populaire d’Auvergne. Nous pouvons écouter par exemple le disque d’André Ricros et Gérard Douvizy « un piano dans le pré ». Modal
Dansava tot lo long de la nuech
03 Dansava tot lo long de la nuech
Ou le trio BLV qui était composé de François Breugnot, Jac Lavergne et Jean Védrine. AMTA
Ont anarem gardar – La canne à Gustou – La Tricotada
ou encore « La musique intérieure de Léon Larchet » avec Jac Lavergne et Gérard Douvizy. AMTA
Bourrée de Chabot – Cantate 147
D’autres cultures ont aussi intégré pour part le piano à leurs musiques : outre atlantique, au Québec ou en Nouvelle Écosse
« Français d’Amérique – Une anthologie des musiques traditionnelles ». Editions Frémaux & Associés
Reel Malouin – Québec
Calédonia – Nouvelle Écosse
Ou encore dans la musique irlandaise ou celle des Shetland
Caoimhín Vallely – Strayaway
Take A Message To Julia / The Long Distance Runner
08 Take a Message to Julia – The Long Distance Runner
« The Willie Hunter Sessions », Greentax Recordings
Faroe Rum – Aandowin at da Box – Da forefit o’da ship
16 Faroe Rum _ Aandowin At Da Bow _ Da Forefit O’ Da Ship
* L’album « En Tornar » est disponible auprès d’Auvergne Diffusion : http://www.auvergnediffusion.fr/en-tornar.html
Dominique Manchon et Jacques Puech
Dans « the Willie Hunter Sessions », Willie Hunter est au violon, accompagné par la grande pianiste Violet Tulloch. Willie Hunter est décédé dans les années 90, mais Violet Tulloch est toujours parmi nous. Le titre du deuxième reel est « Aandowin’ at da Bow ».