Le Roussel de l’Allier, après avoir conçu le principe de la pêche à la mouche artificielle placée au bout d’une canne ordinaire telle celles utilisées pour pêcher au vers avec bouchon dérivant au fil du courant, avait en lui une rage naissante qu’il n’arrivait plus à réfréner lorsqu’il observait les truites s’activer à des distances que sa canne ne pourrait jamais atteindre.
Cet état d’impuissance le découragea à tel point que la pêche ne devint durant de longues journées que prétexte à des flâneries de bord de rivière, où il exposait sa réputation auprès du genre féminin qui comme le poisson mordait à ses hameçons. Il était d’ailleurs fréquent de croiser le long de l’Allier des vélos entrelacés et de constater l’abandon de son panier alors qu’il fréquentait la douceur des prés ou l’ombre des fourrés.
La pêche s’était éloignée de notre inventeur et son nom aurait pu sombrer dans l’oubli, s’il n’avait vu à quelques jours d’intervalle la progression d’une liane de chèvrefeuille s’enroulant autour d’une branche de saule pour à son extrémité continuer sa marche conquérante.
Ce phénomène de la nature eut sur lui un tel effet qu’il partit à toutes pédales pour vérifier la faisabilité du projet qu’il venait d’imaginer.
Arrivé chez lui, il prit sa canne, détacha le fil se trouvant à son extrémité et courut chercher un pelote de ficelle qu’il utilisait pour attacher la viande lors de sa cuisson. Au bout de cette ficelle, il attacha son fil de pêche et une mouche et commença à entortiller la ficelle autour de sa canne jusqu’au moment où elle atteignit sa poignée.
Se plaçant dans le pré derrière chez lui, il fouetta d’une main tenant le fil entortillé, de l’autre qui se prolongeait dans l’herbe où la bobine semblait attendre la suite des événements.
En suivant ce mouvement où sa canne coupait l’air, il lâchait de l’autre main le fil qui se déroulait et s’étendait au fur et à mesure qu’il le libérait.
Certes il dut travailler son geste et constater qu’il lui fallait d’autres sections de ficelle pour avoir un ensemble d’un diamètre de plus en plus grand, afin que son fil puisse couvrir la plus grande distance possible. Il parvint ainsi à dépasser la longueur de sa canne d’environ dix mètres, ce qui multiplia par trois les possibilités qui lui étaient offertes.
Dès que son geste de lancer fut au point, il fit des démonstrations pour épater ses copains qui vinrent assister à son premier essai sur l’Allier.
La pêche reprit et les prises furent de plus en plus remarquables car il pouvait atteindre des poissons qu’il n’avait pas eu la possibilité de tenter par le passé.
Je ne sais pas s’il appliqua sa méthode dans le cadre de ses conquêtes féminines, mais il dut considérer que sa technique était aboutie car il se maria en fanfare au mois de juin de l’année suivante.
Il informa son témoin qu’il souhaitait que cette journée ne soit pas idéale pour la pêche, afin de ne pas avoir de regret par la suite.
Ce fut un dimanche magnifique avec des éclosions d’une rare beauté, où ce soir-là la rivière semblait charrier des nuages de pétales de fleurs de pommiers.
Dès la pointe du jour qui suivit, laissant sa jeune femme dans son sommeil, il fila à la pêche, finissant de s’habiller le long du sentier qui le conduisait à la rivière.
André Ricros
Riom, le 18 octobre 2006
Toujours aussi remarquables, ces petits contes !!!!!
On s’y croirait. Ça me rappelle les récits de pêche de A.Duborgel,qui ont bercé ma jeunesse !