Occupant chaque pli d’un dinosaure endormi, des hommes ont investi cette carapace de pierre sur laquelle pousse une herbe épaisse, courent des histoires, marche le temps, passent le vent, la pluie, le froid, la neige et la tourmente .
Lorsque cette dernière arrive, les animaux sont immédiatement mis à l’abri et les hommes calfeutrent le moindre interstice afin de s’isoler au mieux de ce qui pourrait se passer au-dehors des habitations . Après qu’on ait compté les siens, vérifié que seuls les fagots de la veille sont laissés aux chorégraphies des bourrasques, le silence peut s’installer et la vie ainsi ralentie peut attendre que la fin du monde passe au-dessus du toit sans s’apercevoir que, tapis d’inquiétude, des hommes perdent jusqu’à leur raisonnement s’en remettant alors à de simples croyances qui cachent leurs peurs et leurs faiblesses .
Dehors des forces se rassemblent au-dessus de cette terre. Le dinosaure endormi s’agite dans son sommeil. Les vents sont prêts à se battre pour la seule raison de se croiser là, dans leur dérive aléatoire. Des éléments monstrueux agitent leurs armes suspendues au bout de leurs souffles, crachant neige, glace et tornade en écharpe de clous . Alors que la bête de la fin des temps dormait, elle aussi se réveille, s’ébroue, veut se dresser pour donner des coups, vaincre les belligérants, retrouver ce goût à la vie par le combat des masses qui s’entrechoquent.
Ces hommes, marins des sommets de la terre, cap-horniers de l’oubli, restent accrochés aux filets qu’ils tendent inexorablement depuis toujours, tressant les herbes entre elles, empilant chaque pierre, pétrissant chaque bout d’espace, construisant et reconstruisant sans cesse, malgré tout, malgré l’inconnu du temps qui passe et défait une nouvelle fois l’édifice .
Besse est ici un des symboles de leur foi, de leur volonté à marcher sur ces étendues, avec le clocher comme seul repère et le moutonnement du sol comme horizon qui se déplie en variations ininterrompues. Ils restent au-delà de tout, faisant partie de ce territoire au même titre que l’arbre au bord du chemin que l’on ne voit pas mourir, malgré leur peur face à la tourmente la peur de mourir dans le noir, étouffés par la neige à quelques pas d’une porte que l’on ne peut pas voir.
C’est ce moment unique que l’un deux choisit pour affronter la tourmente.
Germain Gauthier avance dans un espace renversé, sans sol, sans ciel, sans dessus, sans dessous, où le seul repère est sa mémoire qu’il doit agiter aux limites de la folie pour se souvenir de chaque centimètre de terrain, de chaque forme de la terre alors qu’elle change avec la neige qui se déplace en congères. A chaque instant, il doit adapter chacun de ses pas pour ne pas rompre le fil et disparaître absorbé par le vent qui mélange la neige déposée à celle qui tombe arrivant de tous côtés, l’empêchant de respirer et de voir .
Une neige accompagnée de vrombissements et de hurlements invraisemblables, où sa voix projetée avec force n’arrive pas à passer l’espace de ses lèvres . Un bruit insoutenable donnant à chaque flocon le pouvoir d’appuyer sur le clavier de l’enfer et jouer ainsi une marche macabre dont personne ne devrait être le témoin .
Durant ces moments attendus par cet homme qui se bat avec lui-même autant qu’avec la montagne, sa propre vie est ici remise en cause devant cette nature toute entière rassemblée, semblant pouvoir décider si ce même individu sera autorisé à rejoindre ses semblables après avoir, par sa seule volonté, bravé leur intimité: la mort .
Le gardien du dinosaure a une nouvelle fois vaincu et convaincu la bête de se rendormir dans ses cercles de pierre et redonner aux hommes la possibilité de revenir à la surface de leurs préoccupations quotidiennes.
Texte inspiré par Germain Gauthier, Besse (63)