– Va chanter avec un vent pareil. Ce n’est pas possible de vivre avec un tel tumulte de carrefour dans les oreilles du matin au soir.
Même la nuit, il passe dans la cheminée, il se glisse sous la porte, siffle au soupirail, gémit à la fenêtre, se coince dans les trous des murs. Le matin, il est encore là sous les lauzes, attaché au faîtage, tirant les arbres, brossant les herbes, secouant le parc, inclinant les vaches et la montagne et me remplissant la tête au point de ne plus pouvoir le supporter.
Comment chanter avec ce vent qui se reproduit plus vite que les lapins de garenne. Il n’est pas au bout du puy qu’en bas de la vallée, ses enfants arrivent en courant dans les frênes et les hêtres qui n’en peuvent plus de se rabougrir pour avoir la paix.
Vent de malheur, vent de mes tourments, que puis-je faire pour chanter ne serait-ce qu’une jetée de notes, un son de grelot qui puisse résonner dans ma tête, autour de moi, partir au fond du vallon et remonter à pied en écho léger sur lequel je puisse placer la suite, un autre couplet et encore un autre. Enfin que la chanson tourne et se pose dans les prés, sur chaque brin d’herbe avec un peu de couleur en prime.
Tu sais, il n’y a pas mieux qu’une chanson pour mettre un peu de couleur dans cette verdure étendue à perte de vue.
Tu te rends compte même de parler, au bout d’un moment, ne serait-ce que ça, ce n’est pas possible.
Dès qu’il en avait la possibilité, il cherchait un abri pour étirer un début de chanson, comme on tricote une mélodie qui, jusqu’à présent, ne tournait que dans sa tête tel un oiseau en cage ne pouvant vivre qu’à l’état sauvage. Mais rien ne lui procurait ce calme sans vent, sans bruit bourdonnant agitant l’air au point de rendre la montagne semblable à un immense paquebot chancelant sur ses socles de granit et de basalte. Le mal de mer le surprenait et c’est troublé par un trop de roulis ou de tangage qu’il regagnait l’intérieur du buron où la proximité des fourmes lui redonnait cette assise dont il avait besoin pour ne pas sombrer.
Après avoir visité et revisité tous les recoins comme un sanglier affamé, après avoir observé minutieusement le moindre abri de roche, après avoir posé chaque rocher l’un après l’autre dans sa mémoire comme on inscrit un tracé et des repères sur une carte, il en vint à penser que les hommes, avant lui, avaient agité ces blocs pour les aménager en fonction de leurs besoins : celui-ci pour séparer une parcelle, celui-là pour enfouir un cadavre ou encore pour planter une croix, une borne, un rebord de hutte, une protection de semis…
Mais aucun n’avait jamais utilisé les pierres pour inverser le vent, le résoudre, le rendre fou, tout au contraire,ces ouvrages titanesques n’avaient été réalisées que sous sa seule contrainte en s’y pliant et en s’y soumettant.
L’idée mûrit lentement, au rythme pesant de ses blocs qui flottaient dans son esprit. En architecte, il chercha des courbes, des stratégies, des orientations devant déjouer cet air furieusement accéléré sur les pentes où il passait toutes ses journées.
La forme d’une chistera s’imposa comme évidente.
Il n’eut alors de cesse de réaliser son projet et, dès ce jour, il fit rouler des rochers plus haut que sa personne, plus lourd qu’un attelage de bœufs, plus dense qu’un tracteur. Il charria ainsi des moissonneuses batteuses, des chars d’assaut, des rotatives, des rombaleurs, des masses et des masses de pierres qui prirent la forme d’une immense virgule où le vent s’engouffra pour ressortir face à lui même se frappant de plein fouet, visage contre visage.
Le vent tournoya ainsi jusqu’à son épuisement libérant en son centre un espace de calme où même le soleil paraissait plus lourd et plus droit que partout ailleurs.
Là, dans le trou du vent et le vide de son tournoiement, il chanta jusqu’à l’épuisement.
Texte inspiré par Marcel Pelat de Reynac de Brion (48)