Joselou Morange, accordéoniste de Courpière, amateur de marches musettes et de valses allemandes, est aussi un joueur de bourrées. En voici deux qui ne laissent pas tout-à-fait indifférent.
Il s’agit d’une version de la très connue « bourrée de Royat », de son titre le plus usuel. Si on fait abstraction des hésitations et des notes imprévues et non volontaires, se dessine une mélodie tout-à-fait intéressante à plusieurs niveaux.
Le développement mélodique faisant intervenir des doubles croches à des moments bien sentis permet de tenir sans cesse la cadence. L’ornementation semble participer au même but. L’accompagnement, dont on distingue quelques accords semble plus rythmique qu’harmonique. Regardons d’un peu plus près ce qui se passe :
Le musicien alterne des suites de croches et de doubles-croches de façon à ne jamais rester sur les unes ou les autres. C’est malin ! Le doubles-croches donnent un effet d’accélération, qui semble se répercuter sur les croches piquées. En piquant les croches en fin de phrase, on maintien l’énergie amorcée par les doubles-croches. Ce procédé est systématique, mais n’est pas le seul. La note accentuée qui conclue la première partie permet une relance plus aisée ensuite. Tout cela pour dire que la construction rythmique de la mélodie est faite pour maintenir un certain tempo, une certaine énergie.
À la seule écoute, on a l’impression que la mélodie est très ornée, mais ce n’est pas le cas. On relève dans la seconde partie le mordant de la sixième mesure et la petite note de la huitième. Là où la musicien est aussi très malin, c’est qu’il donne l’impression d’une ornementation. Il s’y prend en précipitant légèrement les doubles-croches, comme si elles n’étaient que des ornements, le groupe de six double étant interprété tout-à-fait en place rythmiquement parlant, mais rubato. Il est également régulier en ce qui concerne l’articulation, les notes piquées ne variant pas et résonant en contrepoint des doubles.
L’accompagnement est pour ainsi dire libre du point de vue harmonique. Pourtant, des accords se dessinent, avec une certaine logique, mais le musicien préserve quelques dissonances bien calculées : la fin des phrase faisant intervenir soit la note de référence (sol) soit l’accord parfait arpégé (si sol ré) est accompagnée avec un accord de dominante (ré) en lieu et place d’un accord de tonique (sol). Cela crée un détachement de la mélodie et de l’accompagnement, qui semblent autonomes, tout en se suivant un peu. Cette façon de faire n’est pas propre à Joselou Morange, mais est assez typique du jeu d’accordéon en Massif central, en particulier pour l’accordéon diatonique. La « semi-harmonie » qui en résulte donne l’impression d’un « semi-modalité » de la mélodie. À mon avis, cela participe pleinement de la cadence et de l’énergie du morceau, en tant que « truc-et-astuce » de la musique à danser. L’accompagnement joue le rôle d’un bourdon rythmique semi-harmonisé. Il fallait y penser !
Chers lecteurs, vous êtes donc armés et fin prêt maintenant à découvrir la seconde mélodie, l’antépénultième bourrée de l’enquête :
La collectrice pense avoir identifié le morceau, mais le musicien se dérobe, disant qu’il ne connaît ni le nom ni les paroles. On retrouve le même type d’accompagnement avec la même suite d’accords. La mélodie est un peu plus floue, parcourue de nombreuses notes de passage que nous n’avons pas noté et que vous pouvez entendre.
Encore une fois, très peu d’ornementation si ce n’est ces notes dont on a du mal à savoir si elles sont totalement accidentelles ou si elles tombent toutes seules sous les doigts. Joselou Morange a l’art et la manière de jouer plusieurs notes en même temps en n’en faisant ressortir qu’une, mais pas toujours la même, comme dans les mesures 2 et 6. On retrouve le même type de développement mélodique que dans la bourrée précédente.
Seulement, ici, si vous réécoutez attentivement l’extrait sonore et que vous le comparez à la partition, vous trouverez cette dernière très pauvre. Pas parce que l’accompagnement est absent, mais parce que la mélodie semble à l’écoute beaucoup plus libre. Les notes que nous avons relevées sont bien présentes, mais il y en a beaucoup d’autres autour, amenant la note ou la dépassant, en tout cas créant du à ce qui peux s’apparenter à du pépiement s’ajoutant à une ligne mélodique simple. Faute de pouvoir le noter, nous souhaitons attirer votre attention sur ce pépiement de notes, sur sa souplesse rythmique et cette façon presque aléatoire d’emmener les notes de la mélodie qui, de toute façon, tomberont bien à leur place. Ce chant d’oiseau à l’accordéon laisse une impression de suspens : on n’atterrit vraiment jamais.
On peut donc dire sans se tromper qu’il y a un envol, quelque chose qui tient de la danse dans sa façon de jouer. Amis musiciens de bal, n’est-ce pas inspirant ?
Eric Desgrugillers
Pour aller plus loin et écouter d’autres extraits ou la totalité de l’enquête, c’est ici !