Mélomanes d’ici et d’ailleurs, on trouvera cette saison six nouvelles pépites à se mettre dans les oreilles, qui ont d’ailleurs peut-être, dès le début du mois de Juillet, accompagné vos trajets de voiture d’un festival à un autre ou vos séances de bronzages aux bords des lacs d’Auvergne…
Les musiques traditionnelles trouvent ici, vous le savez, un environnement spécialement propice à leur développement et à leur floraison, en une kyrielle de variétés possibles, comme le démontre la diversité presque radicale des esthétiques proposées par les musiciens de Louise, Sourdure, Toad, par Hervé Capel, Yannis Duplessis, Jean-Claude et Bernard Blanc. Ces artistes sillonnent tous depuis quelques années (voire quelques décennies) les scènes dédiées à ces musiques, mais ont également chacun leurs parcours propres, faits d’enseignement classique, d’immersion dans les musiques expérimentales, drone et répétitives, d’incursions dans les musiques latines ou improvisées, de biberonnage à la techno, au jazz ou à l’acousmatique… Oui, les musiques traditionnelles d’Auvergne se nourrissent autant des autres qu’elles les nourrissent, et comble du comble, les musiciens cités plus haut ont quasiment tous collaboré les un avec les autres. Nous vous révélons donc ici le millésime été 2018, mis en cuve dans le grand bouillon des timbres et des cadences auvergnates qui continue d’exhaler ses vapeurs au-delà des frontières connues… Voilà qui est bien rassurant !
LOUISE
28 ans après le premier « Roulez Fillettes » qui fit tant parler d’Evelyne Girardon et de ses deux complices, trois autres jeunes chanteuses de chansons traditionnelles se retroussent les manches, se raclent la gorge et se lancent à leur tour dans l’aventure, plus que l’expérience de style, du trio vocal. Rien ne doit vous empêcher de vous procurer ce bijou musical, d’une richesse et d’une inventivité rare. Le matériau de base de cette musique promettait déjà de beaux résultats : un répertoire choisi avec goût parmi celui de grandes chanteuses du sud de l’Auvergne ainsi que quelques recueils, et trois voix aux timbres très complémentaires. Il faut croire que ces ingrédients ne suffisaient pas… Clémence Cognet, Mathilde Karvaix et Béatrice Terrasse nous embarquent en effet dans un envol époustouflant, un survol majestueux du pays chanté, un voyage inoubliable en terres sans cesse renouvelées… Impossible de décrire leur travail de façon synthétique tant la diversité des propositions, la complémentarité des approches, la recherche permanente de faire différemment que la fois d’avant nous offre un véritable album, une collection enthousiaste de promesses pour la chanson traditionnelle, qui, avec de telles empêcheuses de tourner en rond, a de beaux jours devant elle… Commandable chez Phonolithe.
TOAD (vinyle)
Le collectif La Nòvia, que l’on ne présente plus, s’intéresse depuis une dizaine d’années aux marges qui relient les pages des musiques traditionnelles à celles des musiques expérimentales. S’inspirant autant des musiques répétitives et drone de compositeurs américains des années 60/70 qu’au répertoire des violoneux ou cabrettaïres auvergnats et limousins, le trio Toad trace son sillon dans l’espace encore en friche de ce que l’on pourrait appeler le « transe trad » (point de vue tout à fait personnel et assumé), et y sème son grain de folie, qui a déjà vu naître de nombreux émules. Dans cet album vinyle à la pochette très soignée, on peut écouter un morceau d’une vingtaine de minutes sur chaque face, entre ostinatos et improvisations libres, confrontation de motifs, de phrasés, de timbres spontanés. Avec cet opus très affirmé, particulièrement approfondi, définitivement dépouillé de mélodies, le trio nous envoie dans une autre dimension, dans un espace musical mûri par de longues années de travail en collectif, où l’on retrouve la saveur acide et le goût de la liberté des premiers albums du Velvet Underground comme l’odeur de l’herbe coupée des bords de sentiers encore inexplorés du Massif Central. Commandable chez La Nòvia.
HERVE CAPEL
Cette année, l’AEPEM lance une nouvelle collection, dans le même esprit que « Cinq Planètes » qu’éditait Modal, à savoir « Un musicien, Un instrument, Un répertoire ». Quel programme ! Enfin l’occasion d’entrer dans l’épaisseur des musiques traditionnelles, jusqu’à épuisement du sujet… Comme pour l’inaugurer, l’incontournable Hervé Capel signe un album solo où figurent 14 morceaux : 13 authentiques bourrées d’Auvergne ou du Limousin, et, comme il n’est jamais raisonnable de s’attabler à 13, une valse se joint au festin. Ce disque donne l’occasion d’entendre de très près le jeu d’Hervé Capel, que nous connaissons dans les multiples formations dont il fait partie : Duo Artense, Tres, DCA, Kabbak, Triptype, Soumailles, Alma Loca, Âmzic… Là où Hervé nous séduit, nous embobine, nous ensorcèle, c’est qu’il entre dans les répertoires les plus inhospitaliers sans même frapper à la porte, avec une facilité et une élégance déconcertantes. Au fil de l’album, vous l’entendrez faire swinguer les tubes aubraciens comme faire tourner les bourrées coulées de l’Artense à vous en faire perdre la tête, marteler enfin cette « cadence » qui lui est si chère et qu’il pouponne en l’habillant d’harmonies subtiles et de syncopes dont lui seul à le secret. Mettez le cd dans votre mange-disque, poussez les chaises, … c’est parti ! Bientôt commandable chez Phonolithe.
SOURDURE, « L’espròva »
Ernest Bergez est l’unique musicien de « Sourdure », un one-man-band protéiforme à l’instrumentarium échevelé qui parcourt les forêts musicales du Massif Central avec une grande liberté, et peut-être bien avec l’envie à moitié-avouée d’aller s’y perdre totalement. Artisan des câbles, des court-circuits, des capteurs piezo et des traitements de son les plus audacieux, il bricole son tour de chant dans une matière bouillonnante de marches de noces, de bourrées et de chansons diverses empruntées aux lieux qui ont vu grandir ses parents et ses grands-parents : Le puy-de-dôme, en grande partie.
Dans ce deuxième opus, Ernest Bergez pousse encore plus la bourrée dans les orties : au détour d’un fourré sonore surgit une ou deux chansons de sa composition, qui disent mieux qu’une longue interview où se situe sa propre démarche… Dans l’invention, la liberté, l’anti-conformisme même, et dans l’affirmation radicale de la fragilité de l’oeuvre : une façon élégante de prolonger l’histoire de ces mélodies dont les contours bruts et irréguliers nous invitent à laisser la musique se dérouler indéfiniment, à célébrer son caractère perpétuellement inachevé, à tenter soi-même de s’achever dans quelque chose… Voici enfin quelque chose « d’autre ». Bientôt commandable chez Phonolithe.
YANNIS DUPLESSIS, « J’ai pris la fantaisie »
La collection « Roulez Jeunesse » de l’AEPEM nous offre régulièrement le loisir de découvrir des groupes et des musiciens que nous ne nous serions pas aller écouter par nous-mêmes. C’est peut-être le cas de Yannis Duplessis pour vous alors faisons de brèves présentations : Yannis Duplessis est jeune, il est bourbonnais, il vit tout près de la forêt de Tronçais et il joue de la cornemuse. De la grande cornemuse, celle qui ronfle et ronronne sur des airs de bourrée à deux temps, scottishs ou valses. Celle qui prend parfois les accents de la voix pour nous révéler des mélodies que nous n’entendons plus. Et Yannis Duplessis, dans la lignée de Christian Vesvre ou Philippe Prieur, la met quasiment à nu pour revenir au cœur du son, là où l’anche vibre à l’unisson de sa simplicité et de sa générosité. Ses invités, Yannick Guyader, Grégory Jolivet, Patrick Bouffard et Quentin Millet, partagent la même passion pour les musiques du Centre-France et l’accompagnent dans cette ballade en forêt à pas pesés, à la rencontre d’une multitude d’espèces mélodiques qui, comme les racines des arbres, forment une gigantesque et inexorable toile solidaire, où les plus anciennes nourrissent les plus jeunes… Bientôt commandable chez Phonolithe.
JEAN-CLAUDE & BERNARD BLANC, « Cornemuses »
C’est presque par le hasard d’internet que l’annonce de la sortie de ce CD arrive à nos oreilles… Autoproduction radicale, il s’intitule sobrement « Cornemuses » et sa publicité est assurée par un e-mail de son protagoniste principal, Jean-Claude Blanc. Le plaisir d’apprendre que les frères Blanc ont enregistré un peu de musique neuve, c’est un peu comme quand un nouveau « Star Wars » sort au cinéma quinze ans après la fin de la trilogie. La trilogie des frères Blanc, ce pourrait être : l’invention des « cornemuses du centre » modernes et standardisées d’après chutes d’instruments et autres tuyaux de grenier, la publication d’un 33 tours mythique avec Frédéric Paris, « Vielleux du Bourbonnais », qui met au jour un répertoire musical alors tombé dans l’oubli (ou dans le folklore) ainsi qu’un style de jeu nouveau, et la publication d’un deuxième 33 tours mythique avec Frédéric Paris et Patrick Bouffard, « Coup de Quatre », qui prolonge et hisse la démarche jusqu’à en faire une référence, un diapason sur lequel s’aligneront des générations entières de joueurs de vielle et de cornemuses en Bourbonnais et Nivernais et contamineront Morvan, Berry, Auvergne, Pas-de-Calais et même… Grande-Bretagne ! Ce son puissant qui traverse les modes et les tempéraments nous revient aujourd’hui dans une proposition très originale, où Jean-Claude Blanc prend le pari de faire sonner ensemble mélodies issus de recueils, collectages de violoneux, répertoire folk ainsi que de nombreux emprunts bien plus audacieux : musiques de Duduk Arménien, musique Finlandaise, Yiddish, Turque, Allemande… Pourtant l’album ne ressemble pas le moins du monde à cette sempiternelle « invitation au voyage » fade et mièvre dont on nous rebat trop souvent les oreilles : ici, ce n’est pas l’auditeur qui voyage… mais bien le son de la cornemuse, qui demeure stable, inchangé, en possession de toutes ses capacités et capable de révéler, en toutes circonstances, combien il se marie bien avec lui-même (on peut entendre Bernard Blanc et Olivier Gitenait accompagner Jean-Claude tout au long du disque). Après avoir écouté le disque en entier on ne peut qu’être un peu changé, tant l’expérience musicale à vivre dans les méandres mélodiques qui tissent les quinze titres entre eux, est singulière. Commandable auprès de Jean-Claude Blanc lui-même, à jc.blanc2@wanadoo.fr.