Ces trois scottishes sont interprétées par Jean-Marie Brandely, violoneux de Fenestre, et ont été enregistrées un certain 29 juillet 1989 par José Dubreuil. Ayant eu récemment l’occasion de croiser cette dernière dans les locaux de l’AMTA, c’est la voix chargée d’émotion qu’elle m’a évoqué le personnage de Jean-Marie Brandely, sa belle musique, les moments inoubliables passés en sa compagnie et les succulentes madeleines préparées avec amour et talent par son épouse : Madeleine ! Dans cet enregistrement, on peut entendre José Dubreuil demander à Jean-Marie Brandely de jouer une mazurka « avant le petit-déjeuner », et là, surprise !
Jean-Marie Brandely n’interprète pas une mazurka mais enchaîne trois scottishes. Bien qu’il ne soit pas rare que les musiciens collectés proposent une suite d’airs à la manière d’un pot-pourri, il reste plus habituel que ceux-ci jouent leur répertoire en présentant les mélodies individuellement. Ce type d’enchaînement, en apparence assez simple, permet en réalité de relever une importante quantité d’informations sur la manière dont le répertoire pouvait être abordé par les musiciens. Le présent relevé permettra de mieux comprendre la manière dont Jean-Marie Brandely aborde ces trois mélodies.
Le choix a été fait de ne pas noter séparément les trois scottishes mais de ne présenter qu’une seule et même partition montrant le cheminement du musicien et mettant ainsi en emphase la cohérence de son discours. Ce qui frappe à la première observation de ce relevé, c’est la clarté de la forme. En effet, Jean-Marie Brandely débute cette suite sur une version de Chas la maire Antoena puis enchaîne avec une seconde scottish. C’est ensuite une version des plus singulières de la célèbre Aiga de rosa que Brandely propose pour enfin conclure sur un retour à la seconde scottish. Chaque air étant joué une seule fois avant de passer au suivant, le discours est très dynamique. Bien évidemment, nous pourrions être tentés de penser qu’il ne s’agit là que d’une confusion dans l’esprit du musicien qui confondrait les airs et que cet enchaînement ne peut être l’œuvre d’une préméditation. Cependant, nous pouvons entendre que cette suite est interprétée avec une grande fluidité et qu’il n’y a aucune hésitation dans le jeu notamment au moment des transitions, il ne peut donc y avoir d’erreur, Jean-Marie Brandely a clairement l’intention de proposer cette forme. Aussi pouvons envisager que ce dernier, dans une pratique antérieure, avait l’habitude de jouer ces airs dans le même enchaînement, mais ce n’est qu’une spéculation…
Si l’on s’attarde plus sur le détail de chaque air, nous remarquons que Brandely insuffle à chacun d’eux un style très particulier, conférant ainsi une grande variété au discours. Bien que cela n’ait pas été précisé sur la partition dans un souci de clarté de celle-ci, un tempérament particulier se dégage de la musique de Jean-Marie Brandely. Il semblerait que plus la mélodie monte vers l’aigu, plus le musicien donne un caractère tendu à la musique avec des intervalles progressivement plus hauts. On peut entendre que le septième degré est légèrement bas (par rapport à un tempérament égal) tandis que le troisième degré est légèrement haut et que le quatrième l’est encore plus. Il arrive également que le cinquième degré soit haut mais dans une moindre constance. Plusieurs explications sont possibles.
La première serait que Jean-Marie Brandely joue avec un écart égal entre chaque doigt et n’adapte pas la position selon le degré joué donnant ainsi ce septième degré bas et ce quatrième degré haut. L’autre explication plausible serait que le musicien adopte un procédé de corrélation entre la sensation de tension ressentie lorsqu’il joue dans la partie haute de l’échelle et la hauteur des degrés dans cette même partie haute. Rappelons néanmoins que cette organisation scalaire* ne relève sûrement pas d’une préméditation de la part du musicien mais plutôt d’une expression musicale spontanée et unique que seul l’apprentissage de routine de l’instrument peut enfanter.
Les chemins mélodiques des trois airs joués étant très différents, il en découle que ceux-ci ont des couleurs diverses. Ils s’inscrivent malgré tout dans un discours continu grâce à la constance du tempérament. À titre d’exemple, nous pouvons citer la version proposée de l’Aiga de rosa. Une mesure sur deux, il y a un appui sur le sol (quatrième degré de l’échelle) du deuxième temps de la mesure. Celui-ci étant haut et son placement étant stricte sur le plan rythmique, la couleur de l’air est donnée entre autre par cet élément de récurrence. Parmi les autres éléments de variations, l’auditeur pourra observer la richesse des ornements proposés par Jean-Marie Brandely. Leur placement (autour du deuxième temps) mais également leur variété (mordants, appogiatures, trille) confèrent au discours de ce musicien une grande richesse tout en renforçant le cadre rythmique. De plus, celui-ci ne se prive pas de quelques variations mélodiques donnant de la fraîcheur à cette suite.
Comme nous le montre cette brève analyse, l’assemblage de mélodies semble être un procédé habituel dans la pratique des musiques traditionnelles. On trouve en effet d’autres occurrences de ce genre d’enchaînements chez de nombreux autres musiciens. Néanmoins, la générosité musicale contenue dans cette suite d’airs nous donne à comprendre à elle seule l’émotion qui s’est dégagée des propos que José Dubreuil m’a confié à l’évocation du nom de Jean-Marie Brandely.
Brice Rivey