Prononcez : « la pientounèt(a) », ce qui veut dire : « la toute petite pinte », désignant par extension et euphémisme un récipient suffisamment grand pour boire un bon coup… Le morceau qui porte ce titre est interprété par Laurent Richard au chant et à l’accordéon. Il est originaire du Boissial de Berbezit dans le pays de La Chaise-Dieu et a été enregistré à Reilhac, près de Langeac en Haute-Loire, par Yves Becouze et Christine Demonteix en 1992.
Une petite chanson qui ne paye pas de mine à première vue, avec une mélodie simple et des paroles dont la philosophie n’est plus à démontrer… Détrompez-vous! Cette « petite pinte » est une grande surprise. Voici quelques explications.
Laurent Richard l’a entendue à Saint-Eble, à côté de Mazeyrat d’Allier. On reconnaît bien dans les paroles un des parlers de la vallée de l’Allier qui descend de Brioude à Saugues. Or, comme l’affirme le collecteur, cette chanson n’a été entendue nulle part ailleurs en Auvergne (du mois dans les documents rassemblés pour l’instant).
Le musicien la joue sur un rythme à trois temps, à la façon d’une valse, mais en marquant une pause à la fin de chaque phrase :
On soulignera l’attention donnée à l’interprétation. L’accordéon accompagne la voix sans les basses, en doublant la mélodie avec quelques contre-chants de temps en temps et des accords bien placés. Le phrasé est net, souple, vif dans les relances en gardant beaucoup de rondeur. La voix est placée, et, si ce n’est pas un chanteur, c’est un très bon musicien qui sait donner du poids aux notes, en particulier dans la suspension qui termine la seconde phrase des couplets.
Mais ce n’est pas la qualité de cette interprétation qui interpelle le plus, c’est plutôt la forme de la chanson. L’interprétation n’est à notre avis pas due au hasard, mais découle selon nous de la forme. En fait ce n’est pas une valse. La pause à la fin des phrases n’est pas là pour faire joli mais plus exactement pour attendre… Attendre les danseurs, et repartir sur la suite de la ronde.
Il est en effet extrêmement rare de trouver une ronde « en si bon état » dans nos régions! Et bien, amis danseurs, la voici!
Ce type de chanson à refrain, avec quelques mots qui changent est typique du répertoire de rondes et jeux dansés. Si l’ouest de la France (Bretagne, Poitou, Vendée, Normandie, etc…) en est encore aujourd’hui un vivier incontestable, on a souvent associé ailleurs à la disparition des sociétés paysannes traditionnelles l’extinction des danses en rond.
Mais ce n’est pas si simple, et l’oreille un peu exercée repère très facilement ce qui peut ressembler à une ronde. Le répertoire attaché aux jeux dansés dans le massif central s’est transformé, ayant perdu sa fonction première. Les chansons à refrain sur un rythme de marche, si courantes dans les enquêtes des collecteurs, ne trouvent que très peu leur place dans le répertoire de bal d’aujourd’hui. La valorisation (à juste titre) de la bourrée et des danses en couple dans les bals a laissé à certains groupes folkloriques le soin de traiter les danses collectives amusantes. Le manque et le besoin grégaire de ce type de répertoire dans les bals aujourd’hui nous fait intégrer au répertoire des danses d’Auvergne (et sous toutes les formes possibles) le rond d’Argenton, faute de mieux, en se disant qu’Argenton, c’est pas si loin…
Rassurons-nous, le massif central déborde de rondes, et celle-ci fait indubitablement penser à la « Jouga » bretonne (le terme « jogar » voulant dire jouer en occitan… quelle coïncidence!). La structure en trois phrases distinctes marquées d’une pause indique peut-être que des gestes et mouvements différents y sont associés, comme dans la « Jouga ». Cette idée est soulignée par la répétition des syllabes du mot qui change, associant la jeu musical au jeu dansé. Que fait-on? on imite le buveur, ou les différents instruments de musique cités? Nous laissons les lecteurs de cet article décider eux-mêmes du détail de la danse, et se fier au phrasé, aux paroles, aux relances pour réinventer ce qui s’est perdu (ou plutôt ce qui nous ne nous est pas encore parvenu).
Les rondes n’ont pas toujours été qu’enfantines, loin de là, et constituent aujourd’hui comme hier un véritable lien social non négligeable (ses participants étant tous à la même enseigne, en cercle), en plus de la joie qu’elles procurent. Alors, à quand la nouvelle « pintonèta » en plus du rond d’argenton ? Et bien dansez maintenant!
Eric Desgrugillers
Pour aller plus loin :
écoutez des rondes traditionnelles du milieu ouvrier des couteliers de Thiers : ici
écoutez d’autres rondes auvergnates et vellaves en bon et mauvais état : là
écoutez des rondes de Normandie, Bourgogne, Rhône-Alpes, etc… : c’est là
un exemple pris sur le vif de la « jouga » : c’est ici