L’Aubrac était là, intact avec sa pluie de rochers disposés sur l’herbe par une main d’artiste dont certains furent mis en mur et d’autres en d’insolites amoncellement où l’œil des Hommes a dû s’y arrêter pour d’étranges prières.
L’Aubrac est toujours là dans ma mémoire, mémoire de celui qui a eu la chance de la rencontrer comme on rencontre un être exceptionnel, petite femme où l’humanité avait posé son essence et qui donnait en échange cette paix inestimable que l’on cherche tous pour être en harmonie avec soi-même.
Elle incarnait par sa présence la joie et le plaisir de vivre, d’être en vie, d’être au monde et sans jamais l’oublier elle rendait à cette vie qui ne fut pas toujours facile cette constance d’y croire toujours. La beauté n’est pas une question d’âge et c’est pour cela qu’on pouvait au-delà des décennies qui s’étaient lentement superposées les unes aux autres être amoureux de cette femme aux charmes irrésistibles dont la douceur et une forme d’acceptation des événements avait en elle éclairé cette beauté et cette intelligence que l’on partageait à ses côtés et qu’elle nous donnait la sensation de pouvoir emporter.
Elle savait qu’il fallait agir sur le monde pour qu’il ne s’effondre pas et qu’au-delà du travail nécessaire à la survie, il fallait lui offrir un peu de son intériorité ; qu’il fallait l’agrandir en creusant sans cesse le sillon de l’art, en sculptant son existence pour qu’elle reste accrochée ici ou là et que nos semblables puissent croiser ces mêmes traces, celles qui nous permettent d’être reliées les uns aux autres.
Ces plus belles créations, créations collectives puisque faites à deux avec celui qui pour elle était le seul à pouvoir être associé à cette œuvre intime, furent ses trois filles. Puis, ayant eu la certitude de cette réussite elle partagea avec son compagnon de toujours des espaces artistiques qui pour Lucien, son mari, fut la musique et tout particulièrement la cabrette et pour elle la peinture où elle s’adonna à son art au-delà du possible.
Si j’ai beaucoup appris avec Lucien Remise de cette liberté de son qui fait que cette cornemuse, oh combien de l’Aubrac, a de choses à dire et de particularisme à défendre au-delà des formes stéréotypées que certains lui infligent, de Jeannette la leçon est tout autre, elle consiste tout d’abord à ne jamais se laisser dominer par les évènements. Droitière, mise en difficulté physique par ce même bras, elle continue à peindre en travaillant de la main gauche et devient ambidextre par volonté de ne rien céder. Ce seul fait pourrait suffire à remplir l’exemplarité d’une vie mais elle poussa la dignité de l’être bien plus loin jusqu’à une forme d’autonomie remarquable où sa philosophie repoussait l’idée de la mort au-delà du communicable. Son exemplarité nous a tous éclairée, tous ceux qui l’ont côtoyé, tous ceux qui n’ont pas pu ne pas l’aimer.
Elle est partie écrasée par une souffrance qu’elle ne méritait pas mais la mort a du se battre avec des armes démesurées car sans cela elle ne l’aurait jamais vaincu.
Jeannette, je suis navré de ne pas avoir pu être là, à tes côtés pour te témoigner ma tendresse comme tu nous l’avais transmise, et je regrette en venant un an après ton départ vers l’effroyable question sans réponse, de t’avoir fait mourir une deuxième fois.
Mais qu’elle ne fut pas ma joie d’apprendre que deux de tes filles allaient se mettre à la cabrette et sans nul doute y réussir car Jean-Claude Rocher qui va les initier n’a pas d’autre choix que de les entraîner sur les sentiers de cette passion que je connais si bien.
Nous jouerons ensemble et nous nous souviendrons ensemble de cet héritage sans pareil.
L’éternité étant faite de la mémoire que l’on inscrit de soi dans l’autre, sache que la lanterne de nos souvenirs n’est pas prête de s’éteindre.
Par-delà les distances que le temps déchire en nous, je te prends dans mes bras et t’embrasse en attendant de se retrouver dans un air de cabrette, dans un conte de la mémé Girbal ou dans les couleurs de ta palette Aubracienne.
A bientôt dans les lumières de novembre, dans la neige sur les toits et dans le déroulé de l’eau du Bes qui nous relie sans cesse.
Dieu est encore trop petit pour peser sur le monde
André Ricros
Je ne connaissais pas Jeannette mais ce texte est très émouvant . j’ai retrouvé dans l’évocation de cette beauté et cette force ma grand mère . Bravo André Ricros pour ces quelques lignes.
Merci pour ce commentaire,
Cordialement,
André Ricros