Les derniers jours de Martin Cayla


(1889 – 1951)

Étant donné que beaucoup de choses furent dites et écrites sur le sujet, que ce soit par des tiers ou par Martin Cayla lui-même, je vais consacrer cette chronique à la fin de son histoire.
Après avoir organisé son existence, à la suite de ses ambitions et de ses désirs, il peut enfin se retourner sur son parcours et constater le chemin parcouru.
Parti de Sansac-de-Marmiesse à l’âge de dix-sept ans en 1906, il gagne Paris où de garçon laitier, il devient musicien de bal musette, éditeur de disques et de petit format, revendeur d’instruments (avant tout d’accordéon), clef de voûte du monde amicaliste des Auvergnat de Paris, coordinateur des musiciens du Massif Central et manager de tournée pour le groupe folklorique « La Bourrée ».

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Martin Cayla Jeune

Au-delà de ses talents artistiques, son sens du commerce et des affaires en tous genres, il réussit, en grande partie, grâce à sa femme, à constituer un petit empire et une renommée toujours pas égalée dans sa communauté.

Martin Cayla dans le cadre d’une sortie champêtre avec son neveu à l’accordéon
Martin Cayla à la cabrette lors d’une sortie champêtre avec son neveu à l’accordéon.

 

Martin Cayla à la cabrette, à gauche avec des amis musiciens
Martin Cayla à la cabrette, à gauche avec des amis musiciens

 

Depuis quelques jours, en ce début d’année 1951, Martin Cayla ne se sent pas bien. Le médecin diligenté à son chevet lui conseille de se reposer et de faire un peu de régime. Il rigole. Jamais de sa vie il n’a subi la moindre contrainte et ce n’est pas à soixante-deux ans qu’il va commencer à changer ses habitudes.

Il est d’une nature où même la nature n’a pas de prise. Il a traversé son existence en courant, consommant tout ce qui passe à sa portée et tout ce qui est accessible à ses envies, et ce malgré l’âge. Il use et abuse de tout et en être nocturne, il va même chercher une partie de ses plaisirs dans les derniers recoins de la nuit.

Martin Cayla à la fin de sa vie
Martin Cayla vers la fin de sa vie

Son médecin avait raison car de toute évidence, il aurait dû l’écouter.
Dans la semaine qui suivit, la machine que constitue ce corps immense par sa largeur et son épaisseur, se met en travers du chemin de son propriétaire le contraignant à l’abandon : il se couche.
Rester allongé la nuit passe encore, mais le jour est un supplice, mais Martin Cayla fini par s’en accommoder car il sent en lui comme une déchirure, comme une démission d’une partie de lui-même. Ce corps qui l’a conduit avec vigueur jusque-là ne veut plus avancer. Ce corps qu’il a le plus souvent malmené, le lâche et il sombre au fond de son lit avec déjà la vision d’une situation irréversible.
Face à cette urgence qu’il présente, il profite de ce qu’il lui reste d’énergie pour tout d’abord faire le point avec lui-même et demander à voir ses proches un à un, ayant des consignes à leur transmettre avant qu’il ne soit trop tard.
Il a vu ses neveux, Georges Cantournet et Marcel Bernard pour des raisons bien différentes qui vont de la musique à des affaires très personnelles ayant trait à sa propre intimité. A ce propos, il fait promettre que ce secret de famille reste à tout jamais dans le silence absolu du temps pour ne blesser personne car aujourd’hui, il est trop tard pour en parler.
Il a vu quelques amis qui avaient contribué à la construction de son édifice et il a vu sa femme et ses deux employées.
C’est avec sa femme qu’il passa le plus de temps, entrecoupés de visites de proches qui ayant appris son état de santé viennent le voir pour le réconforter.
La veille, il avait donné l’impression de retrouver sa verve et sa puissance. Il avait même mangé alors que tout était pénible et laborieux pour l’ogre qu’il fut.
Il s’était dit :
– Si ça se trouve, j’aurais l’occasion de ressortir de ce lit qui m’empêche de bouger et de dire  adieu à mes maîtresses. Mais, le lendemain de cette fin de journée où sa vie lui avait laissée entrevoir un possible rebond, il se réveilla face au néant, et la mort était là, soufflant sa réalité dans toute cette chambre dans laquelle il était allongé sous d’épaisses couvertures pour le maintenir au chaud de cette journée du vingt-huit janvier 1951. Dans une douleur atroce, son cœur sembla exploser et ne lui laissa que quelques pauvres respirations avant son dernier râle. Là, s’échappèrent les chansons qu’il avait entonnées et qui lui valurent cet incroyable succès auprès de tous ceux et de toutes celles qui l’avaient entendus.
Martin Cayla est mort et sur sa couche plus rien ne bouge.
Personne ne put le croire et tous ceux qui étaient présents le touchèrent pour vérifier que ce ne soit pas un effondrement de sommeil d’où il allait peut-être resurgir. Ce ne fut pas le cas, Martin Cayla n’était plus, il était simplement mort.
Désormais il ne lui restait plus qu’à parcourir la distance qui le séparait de sa tombe dans un cercueil en chêne.
Quelques jours plus tard, sa dépouille quitta son domicile du faubourg Saint-Martin dans le premier arrondissement pour rejoindre l’église et sa place dans le cimetière. Désormais seul la mémoire que nous avons de lui subsiste encore dans nos souvenirs.

Photos de l’enterrement de Martin Cayla

 

 C’est suivi par une foule immense qu’il partit pour l’inconnu et les questions sans réponses au son de son premier instrument, la cabrette, que six de ses amis firent entendre jusqu’au cœur de la nef de l’édifice paroissial. Six joueurs de cabrette nommés respectivement M. Marginier, J. Bonal, J. Lagaly, H. Chalie, R Arribat et J. Berthier.

Les photographies prisent le jour de cet événement par l’agence ABC, nous livrent l’ampleur de ses obsèques et le symbole qu’avait réussi à inscrire dans les esprits des Auvergnats de Paris, ce petit bonhomme du sud Cantal qui s’appelait Martin Cayla.

Dieu est encore trop petit pour peser sur le monde.
André Ricros

4 Comments

    1. auric

      Bonjour René, Merci de votre réponse, avez-vous un peu continué la musique? Mon papa était accordéoniste en hte Savoie et je n’ai pas hérité de son don, je joue très modestement, mais mon fils est musicien complet (orgue,accordeon, piano, flute,guitare) … J’avais rencontré J. Cambon en 1965

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