Je ne marche plus, je roule

Le meilleur moyen de ne pas user les semelles de ses chaussures c’est de ne pas marcher ou de s’en aller en vélo. Mais que d’économie pour pouvoir acquérir ce type de machine infernale où nombreux sont ceux qui y perdirent la vie, l’usage de leurs jambes, de leurs bras ou de leur cerveau.

Saoul, on roule dans le fossé et l’alcool protège ceux qui y passent la nuit en pleins hivers. Le vélo quant à lui n’a aucune mémoire et ne va que là où le regard le porte. Sur terrain plat et lisse, il peut préserver son chauffeur alors qu’en cote il s’effondre par manque de volonté de poursuivre.

Là où cet animal de métal devient dangereux c’est en descente car il s’emballe et dès qu’il s’échappe du chemin sa nature ne peut en aucune manière compenser les obstacles placés sur sa trajectoire. Il devient donc faible et lâche, précipitant son propriétaire dans le décor quel qu’en soient les conséquences. Le vélo peut même en ces circonstances extrêmes avoir le sens du sacrifice et se jeter contre un véhicule venant en sens inverse et fracasser le pilote et sa monture contre une machine à explosion qui ne fera alors aucun cadeau à cette rencontre inopportune. Tous deux finiront dans l’oubli, l’un six pieds sous terre et l’autre agglutiné dans une grande confusion au milieu de ses confrères à deux roues.

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Connaissant toutes ses limites, Amélie l’a quand même acheté et quel soulagement de parcourir la distance du hameau ou de la ferme au village en quatre fois moins de temps et de n’avoir pas à porter à bout de bras le poids des courses de la semaine.

Et quel plaisir de se retrouver le dimanche après-midi entre filles pour faire de longues balades et échanger sur ces garçons, qui, équipés des mêmes machines passent et repassent, transpirant à leur hauteur, pour se persuader qu’une d’entre elles lui a fait un sourire ou la regarde avec intérêt.

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–        Que ces garçons sont bêtes ! Ça fait quatre fois qu’ils passent de plus en plus vite. Je crois qu’ils vont finir par tomber dans la poussière du chemin et on sera bonnes pour les ramasser. De plus, ils sont tellement idiots qu’ils risquent de prendre nos gestes de  compassion pour de l’intérêt alors qu’ils ne seront que soutien à notre prochain car à cette vitesse il est sûr qu’ils vont dépasser le stade des égratignures. Pauvres garçons.

Ils sont tombés mais hors de la vue de nos trois cyclistes dans un virage où le gravier ne pouvait en aucune manière retenir leur chute. La casse fut magnifique et leurs vélos finirent mêlés au tas de tous ceux qui avaient échappé à la première des règles, rester en équilibre quoi qu’il arrive.

Pour les hommes, les vélos avaient la barre masculine et le guidon courbée de ceux de course que les plus jeunes arboraient en se prenant pour les frères Pélissier, Antonin Magne, Fausto Coppi ou Louison Bobet. L’avantage du vélo c’est qu’après la messe, il permettait de rester un peu plus longtemps à boire l’apéro tout en arrivant à l’heure pour le repas dominical. Plus de temps, plus d’alcool, plus de risques, moins d’appétit, plus de chutes, plus de dégâts, plus de désordres dans les campagnes, plus d’enfants effrayés, plus de femmes battues, plus de poules écrasées, plus de porte-monnaie vidés et plus de misères dans les familles pauvres.

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Une misère qui a toujours conduit le vélo à finir empilé au milieu de ses semblables dans cet étonnant enchevêtrement de cadres, de roues, de selles, de guidons, de pédales, de chaines, de rayons et de pneus troués, éclatés et éviscérés.

Il était grand temps que le vélo disparaisse pour laisser place aux voitures qui elles feraient encore moins de cadeaux.
Des véhicules aux mains couverte de sang.

Demain, je vais à pied et au diable l’usure de mes semelles.

 André Ricros

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