Le premier jour des noces

Cette chanson a été enregistrée par Jean Dumas auprès de Marie Soulier, à Mans en Haute-Loire, le 21 février 1960.

Les paroles sont construites autour d’images signifiantes mélangeant l’aspect concret de l’objet (l’habit) et l’aspect abstrait du sentiment qui s’y rattache (la tristesse de se marier). Ainsi, l’habit de noces devient un habit de deuil, celui de la jeunesse qui vient de se terminer.

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En se mariant, la jeune fille s’habille non pas de toile, mais de patience et de souci. Ce va-et-vient entre le concret et l’abstrait rend le symbole très fort, et montre tout le poids des conventions sociales et la lourdeur de la condition féminine, attachée à une époque et à une façon de penser. Au-delà, et de façon plus universelle, il s’agit peut-être aussi d’un passage, au sens d’un rituel, de l’état d’enfance à l’état d’adulte.  Cette chanson terriblement triste peut ainsi avoir un rôle cathartique. Est-ce une façon d’exorciser les craintes liées au changement d’état et de souhaiter par le biais d’une chanson, à contre-pied, un bon mariage ?

La mélodie, à la façon du texte, ne tranche pas et garde elle aussi un aspect mystérieux. Elle est construite en deux parties, chacune avec son mode.

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La première partie est chantée sur un mode qu’on pourrait identifier comme majeur (en do) avec une septième basse (sib), donnant ainsi à la fois une couleur lumineuse (tierce majeure = mi) et sombre (septième mineure = sib). Le clair-obscur est également présent dans la deuxième partie : la tierce (mib) se baisse franchement et fait tendre dans un premier temps le mode vers le mineur (do mineur). Cependant, cette modulation fait apparaître momentanément un second centre modal (sib, en conclusion de la mesure 6), avant de revenir au ton premier (do). Mais il ne s’agit pas d’une alternance majeur-mineur. Les notes citées (si et mi) ont tendance à se baisser, parfois fortement, sans jamais atteindre un si bémol ou un mi bémol vraiment tempéré. On peut parler de quart de ton ou de trois-quart de ton. Sauf que ces notes sont mobiles dans leur hauteur qui n’est jamais vraiment définie dans toute la longueur de la chanson.

Par contre, on ressent fortement l’alternance entre deux centres modaux possibles (do et si (presque) bémol). Cette ambiguïté se retrouve dans d’autres interprétations de la même chanson (voir plus bas).

Par ailleurs, le rythme subit un traitement analogue. Même si la mesure semble libre, la découpe du temps est assez clairement ternaire. Cependant, la dynamique générale de la chanson amène parfois à éluder la troisième croche pour passer directement au temps suivant (voir mesures 1, 3 et 8). On ne s’installe jamais dans une formule toute faite, on maintient la tension et l’ambiguïté.

On voit alors à quel point le texte et la musique répondent à la même intention : les variations de la mélodie sont là pour servir le propos, celle-ci se modèle au message.

Eric Desgrugillers

Pour aller plus loin :

  • écoutez une autre version de cette chanson, interprétée par Marie-Jeanne Besseyrot, en cliquant ci-dessous. La façon de faire est similaire, et la mélodie présente les mêmes particularités que celle de Marie Soulier.

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