Il s’agit d’une version particulière de la célèbre scottish « l’aiga de ròcha », enregistrée auprès de Jean Bournier par José Dubreuil et Sylvie Berger à la fin des années 1980 à Combois, près d’Olliergues.
Jean Bournier est un orchestre à lui tout seul : il accompagne à la grosse caisse (couramment appelée « jâze ») ce morceau joué à l’accordéon et chanté simultanément dans un mirliton populaire (espèce de « kazoo » fabriqué par ses soins dans un tube en bois creux auquel est adjoint une feuille de cigarette dont la vibration sous l’effet de la voix produit ce son particulier). Il s’agit du principe de la voix « masquée », comme on en retrouve dans des fêtes de rites de passages ou de dialogue avec un esprit, en particulier sur le continent africain.
Sa fonction première ici est de faire danser, et on peut reconnaître dans le chant du mirliton, la technique du « tralala », forme de chant à danser au moyen d’onomatopées.
En plus de son instrumentarium très original, ce morceau présente également des variantes peu habituelles et très fonctionnelles du point de vue de la danse. Les parties ne sont pas répétées, et le joueur de mirliton rajoute un temps fort à la fin des phrases mélodiques : cela permet aux danseurs de décaler leurs pas sur la musique et de profiter d’autres appuis, tout en contretemps. Mais l’ajout de deux temps forts à la deuxième partie permet de retrouver la carrure à la fin du morceau.
Ces temps forts sont marqués à la grosse caisse. Il faut rajouter à cela un phrasé très original, mais particulièrement adapté à la danse : en effet, le fait de chanter dans le mirliton oblige Jean Bournier à respirer à certains endroits de la mélodie. On peut penser qu’il va s’arrêter à la fin d’une phrase ou d’un bout de phrase cohérent, reprendre son souffle en rythme et repartir. Sa découpe de la mélodie est très personnelle, mais lui permet de valoriser la cadence. On entend qu’il joue le même phrasé sur son accordéon, ce qui en suggère l’importance et l’ancrage dans sa pensée musicale. Ces respirations ont été notées sur la partition (‘) et l’on voit que l’articulation de ses phrases met en valeur les relances dynamiques (fins ou débuts de phrases).
Nous espérons que ces originalités vous donneront envie de tester les limites que ce soit au niveau du choix des instruments, de la découpe du phrasé ou du traitement mélodique personnalisé. Que les autorisations que se donne Jean Bournier soient les nôtres!
Eric Desgrugillers