Ce matin je suis parti, attiré davantage par la rivière que par la pêche elle-même. M’asseoir au bord de l’eau m’était devenu nécessaire, presque urgent, et il me fallait tout mettre en œuvre pour y aller le plus vite possible.
Sur place, le temps de s’équiper crée toujours en moi une effervescence où tout me paraît trop long, générant une impatience démesurée et paradoxale puisque je suis exactement parvenu sur le lieu que j’avais prévu d’atteindre. En fait l’important est tout autre et bien plus simple : c’est d’être devant le cours de l’eau, prêt à abandonner le plaisir de la contemplation pour devenir en un clin d’œil le prédateur qui est en moi, même si je remets tous les poissons dans leur milieu d’origine. Il n’en reste pas moins que la pêche est avant tout une chasse sans merci où je m’évertue à mettre le maximum de chances de mon côté.
Toujours est-il, la rivière est là à mes pieds devant l’ouverture de mon regard et de l’endroit où je suis assis, j’ai un angle optimum concernant la surface d’eau embrassée et la qualité du paysage qui lui est attaché.
L’eau, quant à elle, roule sur ses pentes, poussée ou attirée par des parties d’elle-même qui la poussent ou l’attirent. L’eau est là dans un large mouvement irrégulier, sonore et profond, où tout de la vie semble représenté : les apparences et les non-dits. A nous de comprendre ou plus exactement d’interpréter, à moins que ce ne soit tout simplement une vaste introspection générée par sa seule présence, cette énergie qui passe comme s’enfuit le temps et le tumulte de nos pensées enchevêtrées. Elle est toujours là comme un rappel, un miroir de notre état intérieur, elle est là depuis toujours et toujours différente, ne parvenant jamais à se reproduire, à redonner ou à rejouer ce qu’elle vient d’interpréter. L’eau est là, condamnée à tout recommencer et c’est bien de cela que je suis persuadé avoir eu besoin : de son soutien pour m’encourager à reproduire cet éternel tournoiement du jour et de la nuit pour tenter d’y inscrire une trace.
Et de cette eau qui m’avait rejoint dans mes pensées, circulant en moi comme je m’identifiais à elle, s’échappa de sa surface ce qui m’apparut tout d’abord comme le résultat de sa propre réflexion et qui n’était autre que le premier gobage, qui me sortit de cet univers plus vite que la foudre l’aurait fait d’un grand duc si elle avait pourfendu le vieux chêne au fond duquel il s’était habitué à faire la sieste.
J’étais déjà dans l’eau, la soie s’étalant de plus en plus loin dans l’air, et en moi remontaient, pour se mettre au service d’une efficacité devenue obsessionnelle, tous les savoirs que j’avais de cette merveilleuse pêche qui n’est autre que la pêche à la mouche.
La suite ne fut que banalité, c’est-à-dire par la bonne mouche, par le bon posé, par la bonne approche, par le résultat escompté, mais j’avais eu la chance de ne pas avoir vu le moindre gobage durant un temps suffisant au besoin que j’avais eu de me retrouver tout entier sur la terre.
Riom, le 17 septembre 2006