RACINES au POCOLOCO

RACINES

Ou quand la vielle est le passeur entre deux cultures…

Rencontre avec
Marlon Simon
musicien et compositeur d’origine Vénézuélienne reconnu comme l’un des meilleurs artistes de jazz afrocubain,
Gilles Chabenat,
figure de prou du monde innovant de la vielle à roue
et
Marc Glomeau
percussionniste leader du groupe de jazz afrocubain Black Chantilly et initiateur du projet

Photo (de G à D) : Marc Glomeau, Gilles Chabenat, Marlon Simon en résidence à la Baie des Singes à Cournon

 

Comment est née l’idée de ce spectacle ?

Marc Glomeau : Avec Marlon nous avons déjà fait une création commune en 2005 à Yzeure Espace avec laquelle nous avons fait durant trois années beaucoup de concerts tant en France qu’aux USA et avec laquelle nous avons gagné le prix du « French american jazz exchange » en 2008.
La production latin-jazz manque de renouvellement car bien qu’il y ait énormément de très bons artistes cela reste toujours confinée dans le même son autour de la section sax-trompette-piano et dans les mêmes utilisations de codes.
Nous recherchions donc de nouvelles idées, de nouvelles associations et quand l’idée de dialogue entre nos deux cultures –Vénézuélienne et Bourbonnaise- s’est fait jour cela m’a ramené à la vielle à roue. Même si quand j’étais jeune Gaston Rivière représentait tout ce qui peut y avoir de plus conservateur, pour ne pas dire ringard, j’ai voulu en savoir plus sur cet instrument.

Marlon Simon : Je ne connaissais absolument pas ces musiques folkloriques et je n’avais jamais entendu de vielle mais, après écoute,  j’ai trouvé des similitudes entre les deux folklores, notamment au niveau rythmique, même si les accents ne sont pas placés au même endroit. Ensuite, il fallait trouver un moyen d’intégrer la vielle et dans la musique latin-jazz ce n’est pas une évidence !

 

Comment Gilles Chabenat est-il arrivé dans l’aventure ?

Marc Glomeau : En fait, à Paris, j’ai travaillé avec un batteur qui, comme Gilles, même si ce n’est pas sur la même période, a joué dans I Muvrini et il m’a donné son nom. Ensuite, j’ai appelé Pascal Favier du Guingois à Montluçon pour lui demander s’il connaissait des vielleux qui pourraient être intéressés par ce genre de projet. Il m’a donné trois noms dont celui de Gilles. Je suis allé voir les sites internet de chacun d’eux et lorsque j’ai écouté ce que faisait Gilles j’ai immédiatement été séduit par l’approche très ouverte de sa musique. Pour ce projet il fallait un excellent musicien, rythmiquement très aguerri, car cette musique est d’une grande complexité et précision et cela demandait énormément de travail en peu de temps. Je l’ai appelé pour lui expliquer l’idée et ça l’a intéressé.

 

Gilles, pourquoi cela t- a t- il  intéressé ?

Gilles Chabenat : J’ai toujours adoré travaillé dans le cadre d’une vraie écriture, avec Marlon il y a un vrai propos artistique, un vrai travail de composition. Dans ce type de projet le  danger c’est de faire du collage, il ne suffit pas de mélanger des jolies couleurs pour faire du beau…La difficulté a été d’apprendre les codes, en musique on décale une note et on découvre un autre monde ! Pour caricaturer je dirais que dans notre musique à 3 temps, en bourrée par exemple, on a plutôt tendance à accentuer 3/1, 3/1 eux au Venezuela ils font plutôt 2/3, 2/3…et ça pour moi c’était une torture ! Quand tout est construit là dessus on pénètre un autre monde…On change un élément et on change d’univers.

Marc Glomeau : Après qu’il m’ait dit être intéressé par le projet nous nous sommes rencontrés à Paris et pour Marlon, en anglais, Gilles a expliqué le fonctionnement et toutes les subtilités de la vielle devant une caméra. Il restait ensuite à lui adresser aux USA  les précieuses données sur DVD

Marlon Simon : Ainsi j’ai pris connaissance des  possibilités de l’instrument et de l’instrumentiste !
L’écriture musicale a vraiment été faite autour de la vielle, j’ai façonné un écrin sonore où tantôt la vielle fait la mélodie tantôt elle est une partie de la section avec la trompette, le piano et le sax, dans tous les cas les harmonisations sont prévues pour mettre la vielle en valeur. Nous sommes le seul groupe au monde à faire ça !

Comment s’est fait le choix des airs traditionnels Vénézuéliens ?

Marlon Simon : Le premier choix s’est porté sur des airs très populaires, des sortes d’hymnes, de telle sorte qu’ils soient reconnaissables par tous immédiatement. En prenant des airs moins connus l’impact du projet aurait été moins important. Ensuite, j’ai conservé ceux dont j’imaginais qu’ils allaient bien sonner à la vielle et où le phrasé de cet instrument allait être crédible.

Marc Glomeau : Une des difficultés pour nous aussi c’est que les airs vénézuéliens sont très rapides. Dans cette musique il y a trois apports très importants :  indien, africain et espagnol. L’un des grands styles en musique vénézuélienne s’appelle le joropo qui utilise généralement  le cuatro (petite guitare à 4 cordes) , des flûtes, des maracas et une contrebasse avec lesquels ils jouent les boléros et merengues. C’est une musique très belle avec des mélodies jouées de manière très légère

Gilles Chabenat : Ce qui m’a parlé immédiatement c’est l’aspect mélodique qui, sur la vielle, fonctionne bien.

Marlon, quel rapport entretenez-vous avec les musiques traditionnelles de votre pays d’origine ?

Marlon Simon : Mon premier instrument était le cuatro, j’ai grandi avec ces musiques là mais très vite j’ai d’avantage été intéressé par le jazz. Chemin faisant, maintenant je suis plus attiré par l’aspect «  roots » des musiques traditionnelles.
Ce qui est très étonnant c’est que ce soit des musiciens français qui m’aient permis ce retour sur mes racines. Si ce projet n’était pas venu à moi je n’aurais peut-être pas fait ce retour sur mes origines …Ce projet m’a emmené dans des endroits où je ne pensais pas pouvoir aller, j’en ressors grandi en ayant redécouvert ma propre culture.

Et toi Marc, est-ce que ce projet a changé quelque chose dans ton rapport à ta culture d’origine ?

Marc Glomeau : Oui, Gilles m’a fait apprécié la vielle ! Finalement je me suis aperçu que je ne connaissais pas cet instrument . Quand j’étais gamin la vielle n’était pas considéré comme un instrument très glamour. Ce que je retiens de cette expérience c’est que la meilleure manière de conserver la tradition c’est d’aller de l’avant , de projeter des instruments trad dans d’autres musiques, dans d’autres cultures. Gilles le fait. Avec une telle démarche ces musiques demeureront vivantes.

Marlon a choisi les morceaux du Venezuela, comment avez vous fait le choix des morceaux du Centre-France ?

Gilles Chabenat : j ‘ai fait une sélection très large de morceaux traditionnels associés à quelques compositions personnelles et, en retour, j’ai adoré être surpris par le travail d’arrangement de Marlon… Dans chaque morceau nous allons d’ici au vénézuela dans une écriture musicale très cohérente, on dit arrangement, mais cela relève plutôt de la composition !
Certains morceaux trad du centre France deviennent très vénézuéliens et à contrario la vielle peut investir très fortement des airs du vénézuela

Marc Glomeau : Cet important  travail a été facilité, nous tenons à le souligner, par la présence de Gabriel Fernandez qui, par sa grande culture musicale, a souvent fait le pont entre les deux cultures et a très fortement aidé à la compréhension des phrasés. Ce projet s’est construit autour d’un groupe de musiciens de grand talent qui, depuis 2005, ont nourri une aventure humaine et musicale assez exceptionnelle.
Ce vécu et cette expérience ont permis d’aborder cette nouvelle étape qui n’est ni la moins risquée, ni la moins exigeante sur le plan artistique avec plus de sérénité .
Je tiens donc à remercier tous les musiciens : Fred Breton (piano), Frédéric Bidou (contrebasse) Dominique Rieux (trompette) Gabriel Fernandez (Saxophone) pour tout ce qu’ils ont donné à ce projet.
Nous sommes tous très surpris par ce que nous jouons aujourd’hui…c’est un spectacle plein d ‘émotion dans lequel nous nous sentons d’avantage accompagnateurs de chansons qu’instrumentistes ! Des morceaux comme Casa de carton, air traditionnel vénézuélien qui exprime toute la souffrance des gens pauvres de ce pays, contiennent beaucoup d’humanité et les arrangements réalisés par Marlon accentuent cette dimension.
Je n’ai jamais participé à un projet aussi abouti et déroutant.

Marlon Simon : j’ai réalisé beaucoup de projets musicaux très intéressants dans mon existence qui m’ont amené à me produire dans le monde entier mais aucun d’eux n’a eu autant d’importance pour moi.

Cette création née au terme d’une résidence dans le cadre d’un partenariat avec le festival Jazz dans le Bocage (merci à Jean-Paul Bardot et son équipe) a reçu le soutien de la DRAC, du Conseil Régional, des Conseils Généraux du Puy de Dôme & de l’Allier et d’un financement européen Leader.

José Dubreuil

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