Il s’agit d’une chanson très classique dans le répertoire traditionnel en français, chantée ici par Virginie Granouillet, de Mans, enregistrée par Jean Dumas le 14 septembre 1959 sur son « stuzzi » portable.
C’est une version tout à fait personnelle. Les mélodies attachées à ce texte sont souvent joyeuses et sur un rythme de marche, comme en témoigne une autre version, enregistrée toujours par Jean Dumas auprès de Marie Fayet :
Suivant les versions, l’histoire est toujours la même, celle d’une jeune fille mariée de force à un vieillard. Les paroles de la chanson relatent quelques épisodes cocasses. Mais on sent chez Virginie Granouillet un réel engagement dans l’interprétation. Elle ne semble pas développer la légèreté habituelle attachée à ce type de répertoire. Au contraire, on a l’impression à l’écoute que l’accent est mis sur l’aspect dramatique de la situation. Quels sont les éléments musicaux, dont elle n’a peut-être aucune conscience, qui sont mis en jeu pour un tel effet?
Les répétitions des derniers vers mettent l’accent sur le sentiment de la fille. Le focus se porte sur son ennui et sa tristesse. La mélodie souligne, en passant par des notes aigues ou appuyées les « et moi », ainsi que ce dernier vers. Regardons de plus près la mélodie.
Le mode choisi (mode majeur) n’a rien d’original, mais le traitement qui en fait est surprenant. En effet, le premier couplet présente une tierce très basse, tirant vers le mode mineur, et suggérant très souvent un sentiment de tristesse. Cette note mobile est donc essentielle pour la couleur générale du morceau. Les autres couplets sont, eux, plutôt majeurs, mais les tierces y sont tenues et liées, et donnent alors toujours ce sentiment d’une mélodie triste.
La situation cocasse est bien là, comme le montre le texte, qui fait d’ailleurs rire l’auditoire présent. Mais la chanteuse ne rit pas. Elle chante. Elle laisse la porte ouverte aux réactions de ceux qui l’écoutent et ne choisit pas pour eux. Elle donne une direction vers la gravité mais ne casse pas l’humour du texte. Ce mélange d’humour et d’abandon à la tristesse, donnant à la chanson une véritable profondeur, nous semble assez caractéristique de la chanson traditionnelle en général, dont le propre est alors la superposition de différents niveaux de compréhension; et Virginie Granouillet excelle dans cet exercice exigeant et périlleux.
La construction mélodique soutient fortement la montée de la tension. Les premières syllabes de chaque vers sont sur une variation mélodique qui ne fait que monter (en gras les notes appuyées) :
- vers 1 : ré sol si sol la si (phrase de référence)
- vers 2 : sol la si do si la sol (on commence à monter, mais on redescend vite, ce qui ménage un suspense…)
- vers 3 : sol la si la si ré (on monte réellement, c’est le moment d’apogée de ce qui est exprimé…)
Cette construction rend la mélodie très agréable en bouche, et donne du sens à l’ensemble de la chanson. La musique joue aussi un rôle narratif. D’ailleurs, le rythme est libre, et n’est pas conditionné par le tempo de la marche. On ressent d’abord, on danse après.
Et si, amis chanteurs, nous nous amusions à faire la même chose?… tous à vos voix!
Eric Desgrugillers
Pour aller plus loin :
- écoutez Virginie Granouillet (143 chansons)
- écoutez Marie Fayet (38 chansons)