Elles ont beau être quatre allongées dans l’herbe rase et coupante de toute plante battue par le vent du large, rien ne bouge. Cette journée de printemps encore froide est belle et le photographe fixe cet enchevêtrement de corps féminins enroulés dans leurs manteaux.
Non, ce n’est pas lui avec son appareil qui capte les regards de ces femmes mais bien un autre individu qui, placé sur la droite de l’opérateur, attire l’intérêt de trois d’entre elles. Seule la plus banale des quatre semble être en phase avec l’objectif.
La malice qui se dégage du sourire des autres doit lui coûter car, plus tard, après avoir réalisé le tirage de son négatif, il effacera de sa mémoire les personnages qui l’occupent ainsi que ce Finistère de terre aride pour ne voir que ce qui disparaît dans la brume qui l’écrase : la mer.
Les fleurs du premier plan sont ainsi effacées sans être effeuillées et les quatre femmes oubliées alors que celle située au premier plan aurait pu nourrir tous les espoirs de conquête qu’un homme ordinaire était en mesure de lire sur une telle expression. De plus, son attitude, par le posé de sa main gauche sur le haut de son genou, nous laisse à penser qu’elle pourrait dégager le bas de son manteau pour nous donner à voir, chose plus légère, la fluidité de ses jambes et en montant plus haut le dessin transparent de sa cuisse.
Sa voisine, moins vive, tend à nous dire, qu’elle pourrait être capable de la même folie, mais au delà de son regard incliné vers cette hypothèse, elle ne laisse rien apparaître dans le langage de ses mains que le corps utilise parfois malgré lui pour se raconter et dire au temps qui passe que derrière les apparences vivent les rêves et que ces mêmes rêves sont là, sur la pellicule de ce jour de printemps encore froid qui se déroule et ne dure qu’une seconde, celle qui fixa cet instant où il ne reste dans le regard de celui qui a constaté le peu d’intérêt qu’on lui portait, que la mer, la mer assurément immense, mais en ce jour quasi invisible d’où émerge une écriture manuscrite que l’auteur, par nécessité d’oublier le sujet de son cliché, a choisi d’exacerber : la mer.
Seules les fleurs eurent l’occasion de sourire et, dans le trajet qu’elles dessinent le long de la pente, elles créent une frontière fragile et indicible qui sépare ici la réalité du désir. Ces mêmes fleurs tenaces disparaîtront et renaîtront dans leur cycle qui dépasse oh combien l’espérance qu’ont les chats à posséder sept vies. J’ose espérer que cette image pourra également trouver une forme d’éternité, éternité qui ne tiendra qu’aux regards qui lui seront adressés.
André Ricros