La bourrée des anciens

Non, il ne s’agit pas de la révélation d’une archive oubliée, c’est simplement le titre du morceau qui suit et qui est interprété par Fernand Fabre, joueur de cabrette, enregistré à Montaigut-Le-Blanc, près de Champeix dans le Puy-de-Dôme, par Anne Garzuel et José Dubreuil, le  le 29 juillet 1989.

 

Je dois avouer les questions sans réponses qui entourent ce morceau et la pratique de Mr Fabre. Originaire de la région de Besse, ses parents tenaient un café entre Besse et Egliseneuve où il a pu observer des danseurs. Dans cette enquête, pas un mot sur son apprentissage ou sa pratique. Par contre, il a un avis sur la façon de danser la bourrée, dont il ne retrouve plus, dans les danseurs de groupes folkloriques de son époque, le « micro-organisme » comme il le dit.

Rien non plus sur l’origine de ce morceau, où est-ce qu’il l’a entendu et appris. À première vue, sauf avis contraire qu’on me ferait parvenir, cet air n’est pas un classique de la cabrette, et ne fait pas partie du répertoire issu des Auvergnats de Paris. La cabrette s’est fortement répandu dans le sud de l’Auvergne, et reste ailleurs anecdotique, si l’on en crois les enquêtes menées dans les années 1970 et 1980. Chaque groupe folklorique a son joueur de cabrette, bien sûr, mais un joueur de tradition orale sur cet instrument en plein milieu du Puy-de-Dôme, c’est plus rare.

Il joue ce morceau une première fois, avec un démarrage raté, juste au moment du changement de bande, voici donc le premier extrait dont est issue la partition qui suit :

 

Sa façon de jouer peut rappeler, par l’ornementation, le jeu Aubracien, en particulier celui de Joseph Ruols, mais c’est tout autre chose qui nous a interpellé. Voici la partition :

On le voit au « dessin » des notes : la première partie est très ornementée avec des notes piquées à la fondamentale (sol) ou avec des notes de passage sur les mi et les fa. Les deux premières portées semblent identiques, mais la répartition des ornements est différente, c’est donc l’habillage des notes qui évolue et sur lequel se trouve un espace de liberté. On ne trouve pas dans ce morceau de « trait cabrettistique » particulier (comme un picotage, ou un motif qui serait dû à une spécificité de doigté). L’air joué reste sobre et simple, avec répétition des motifs.

Le titre « bourrée des anciens » m’interroge : est-ce une bourrée que jouaient ceux qui étaient anciens pour lui (génération de ses parents et grands-parents), est-ce plus ancien ? Est-ce un titre « fantaisiste » donné par un musicien (comme on peut le faire quand on ne connait pas le nom d’un morceau)? est-ce une danse d’un groupe folklorique ? À ce jour, je n’ai pas encore de réponse, mais je n’ai pas arrêté les recherches, je ferai part de mes trouvailles si il y a lieu.

« Anciens » peut recouvrir un autre sens, et ceci n’est qu’une suggestion. La seconde partie me semble moins propre à la cabrette : elle n’a pas du tout le même « dessin » de notes, mis à part le motif croche pointée – trois doubles croches que l’on retrouve toutes les quatre mesures. Beaucoup moins de notes piquées, mais des mordants (coups de doigts) apparaissent. La ligne est plus mélodique et fait irrésistiblement penser à la musique des violoneux au milieu de laquelle ce musicien a certainement grandi, violoneux qui étaient probablement pour lui des « anciens ». Mais rien ne dit qu’il a appris cette bourrée de routine. Pour l’instant, pas de traces non plus de ce morceau dans le répertoire que j’ai consulté des violoneux… si ce n’est que cette deuxième partie sonne comme une « bourrée coulée » (c’est-à-dire jouée avec l’archet qui ne décolle pas des cordes).

Ce qui rattache ce cabrettaire à la tradition orale tient plus, à mon avis, de l’esprit, de sa façon de penser la musique et de sa manière de cadencer. Ses croches pointées sont plus ou moins longues et les doubles croches plus ou moins régulières, mais il ne s’agit pas d’une erreur ou d’un manque de technique. On entend bien que son morceau est « en place ». Ces micro-mouvements rythmiques représentent certainement ce qu’il appelle le « micro-organisme de la bourrée », des petites choses qui grouillent et qui vivent et qui remplissent sa musique.

Amis musiciens, alors que le froid s’est bien occupé de nos microbes, pourquoi ne suivrions-nous pas l’exemple de Mr Fabre en mettant de nos petites bêtes musicales pleine de vie entre les notes ?

Eric Desgrugillers

Pour écouter un peu plus de sa cabrette micro-organique : c’est ici 

 

 

 

 

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