
Texte d’André Ricros
Du 23/03/2022
Dans le cadre d’un projet de livre sur les personnes extraordinaires du Cantal (15)
@Photo : Joël Damaze
Le chou dans lequel est née cette enfant était un vrai chou pommé ayant résisté à l’hiver de 1956. Un chou planté sur un des finistères du plateau de Mauriac surplombant la vallée de la Dordogne, très exactement au Monteil de Chalvignac.
– Difficile de faire mieux en matière d’atterrissage en terre inconnue.
– Difficile de faire mieux en matière d’us et coutumes accrochés à des temps immémoriaux.
– Difficile de faire mieux en matière d’appuis pour avoir accès au reste du monde.
Tout était là, réuni de l’archaïsme à l’acceptation de la modernité.
Tout était là, de la cuisine à la cheminée, des histoires, des contes, des jeux et des devinettes d’un autre temps comme :
– Ce sont deux frères jumeaux, ils attendent leur maître tous les matins la bouche ouverte.
Qui sont-ils ?
Ou
– Qu’est-ce qui peut sauter une maison une fois mais jamais deux fois ?
Et ainsi de suite.
La réponse de la première énigme est : une paire de sabots.
Celle de la seconde est : un œuf.
Comme vous pouvez le constater, l’esprit de José Dubreuil s’est construit sur une mythologie qui lui octroiera suffisamment de confiance pour qu’elle s’autorise à aller voir ce qui se passe de l’autre côté du monde : là où le soleil se lève, à moins que ce soit là où il se couche.
Tout d’abord, chose primordiale, enfant, elle fut invitée à s’inscrire au mieux dans l’école de la république et à gravir l’échelle sociale, ce que ses parents n’ont pas eu la chance de pouvoir faire, jetés dans le travail dès leur plus jeune âge.
Après l’université du Mirail à Toulouse, elle rejoint l’AMTA (l’Agence des Musiques Traditionnelles en Auvergne) pour se charger de la collecte, c’est-à-dire de la mémoire de toute cette région. Quatre départements à parcourir, à passer au tamis, à analyser et à rendre accessible au public.
José ne s’est pas intéressée aux musiques de tradition orale sans raison. Depuis son enfance, elle était tombée dans cette fameuse marmite. Ses parents dansaient régulièrement à la maison accompagnés par un 33 Tours de René Saget intitulé « Judo Cadence ». Son père était un très bon danseur possédant un style remarquable, qu’il a su transmettre à ses cinq filles.
Dès le lycée, José rejoint le groupe folklorique que son professeur d’occitan et de français avait créé : « La Miremontaise ».
De toutes évidences José avait des bases sérieuses. Sérieuses au point d’en faire le sujet de son mémoire de DEA consacré aux danses de tradition des Hautes Terres.
Ce qui est bien plus remarquable c’est son don de collecteuse. Ce travail ne se résume pas au seul fait de poser un magnétophone ou une caméra devant l’expression d’une mémoire vivante, non, cette étape n’est que l’ultime phase d’une approche délicate, je dirais même savante.
Tout d’abord, il faut trouver les bons informateurs, et là, commence une enquête de terrain assimilable à une recherche où Maigret n’y suffirait pas. Cette même enquête demande de s’intégrer au paysage, à la culture des gens inscrits dans cet environnement particulier, d’en comprendre la langue et de la pratiquer (ici l’occitan pour la majeure partie de la région), de connaître parfaitement son sujet de recherche, de rassurer, de créer du lien, de donner de soi et de fabriquer une relation de confiance à long terme.
Tout un programme que très peu sont en mesure d’assimiler et d’appliquer.
Dans son domaine, José est une championne du monde toutes catégories et ce sur un terrain d’une absolue complexité, celui où les relations humaines sont primordiales.
Aujourd’hui, l’AMTA a engrangé et classé une somme considérable de documents audiovisuels dont la plus grande partie de ce patrimoine immatériel est le résultat de son travail. Une vie de recherche qui lui donne ce jour une connaissance sans pareil sur les êtres ordinaires extraordinaires des quatre départements de la Région Auvergne.
Le chou pommé du plateau de Mauriac ayant résisté à l’hiver 1956 a engendré un personnage fabuleux, un personnage de légende.
A une époque où le concept d’identité est au cœur des enjeux de société, c’est à des personnes comme José Dubreuil qu’il serait bon de donner la parole. Cela nous éviterait d’entendre des propos déplacés et dénués de fondement historique, sur des sujets aussi brûlants et sensibles que l’évolution de la société dont nous sommes issus et dans laquelle nous agissons pour la rendre plus facile à vivre à tous ceux qui l’occupent, et à ceux nombreux et indispensables qui souhaitent s’y inscrire.
C’est donc bien naturellement qu’après des décennies passées à parcourir cette région, à voyager dans le temps, celui des mémoires et des mondes relatés, à se glisser amoureusement dans notre mémoire collective, celle des femmes et des hommes qui firent et font encore ce que nous sommes, que José s’est engagée en politique pour défende sa vision du monde. En elle, à travers elle, ce sont toutes les personnes qui lui confièrent leurs histoires, leurs souvenirs et leurs convictions, qui s’inscrivent dans son engagement.
Au regard de ce portrait, il est grand temps de planter des choux d’hiver tels :
– le cabus
– Le quintal
– Le tronchuda langadijk
– Le louvier
– Le cœur de bœuf
– Et le gros des vertus
Après avoir rencontré ce personnage atypique qu’est José Dubreuil, je n’ai qu’une dernière requête à vous adresser :
– libérez, au plus vite, un espace dans votre potager. Dans cette terre rédimée plantez-y des choux d’hiver. Ainsi vous aurez une chance de préserver les fondements de toutes formes de patrimoine immatériel.
De plus, avec ce que vous n’aurez pas utilisé de cette plante de la famille des crucifères préparez-nous une potée, un chou farci, ou une bonne soupe aux choux, car il n’est jamais trop tard pour bien faire.