« C’est le pied de transmettre »
Doué d’une grande sensibilité, attentionné et méticuleux, Cyril Étienne est un jeune artiste multi-facettes, à la fois musicien et danseur, soucieux de la vitalité des musiques et danses traditionnelles du Massif Central, et très attaché à leur transmission. Il est clarinettiste, danseur de bourrée et récemment il a intégré l’équipe administrative de l’association « Les Brayauds » à Saint-Bonnet-près-Riom. Dans la lignée de ses prédécesseurs, il prolonge une même histoire, et il pourrait être un des représentants d’une jeunesse dynamique, générant une pratique vivante de ce qu’on nomme « tradition ». Son parcours est la preuve que nous pouvons envisager des avenirs – artistiques, humains et professionnels – à ce domaine culturel.
Cyril, tu vis à Clermont- Ferrand, tu es clarinettiste, quel est ton regard sur ton propre parcours musical dans le milieu des musiques et danses traditionnelles?
Contrairement à un certain nombre de musiciens ou danseurs de mon entourage, je n’ai pas baigné directement dans un milieu musical familial. Mes parents sont originaires du département des Vosges, et ils sont venus s’installer à Saint Bonnet-près-Riom quand j’avais environ quatre ans. Mon oncle qui jouait de l’accordéon diatonique, nous avait déjà parlé de l’association « Les Brayauds », et c’est peut-être lui qui a influencé ma destinée…
Pour l’anecdote, quelques temps avant la rentrée scolaire de 1992, nous avons reçu dans la boite aux lettres un prospectus nous informant de l’existence de cours de musique et d’un atelier « Éveil Musical » pour les enfants au Gamounet, à quelques pas de la maison. N’ayant pas d’activité extra-scolaire, j’ai choisi de m’inscrire à cet atelier animé par Jean-Marc Delaunay. Nous étions environ quinze élèves. Mon frère Loïc, rejoignit le groupe un peu plus tard. Jean-Marc nous familiarisait avec les sons, les instruments, les rythmes, et les danses. L’atelier « Éveil Musical » s’est transformé ensuite en atelier « Éveil Chant et Danse ». Je l’ai suivi pendant trois ans jusqu’en 1995. Par la suite, on nous proposa de poursuivre notre formation musicale par l’apprentissage d’un instrument de musique. Mon frère et moi nous sommes mis à l’accordéon diatonique. Nous avons loué des accordéons diatoniques Hohner au Gamounet, et nous avons débuté notre apprentissage avec Lætitia Pilorget. Parallèlement, nous avons continué les ateliers de chants et danses avec les autres enfants.
Deux ans plus tard, l’association a ouvert un atelier de musique d’ensemble destiné à la ribambelle d’enfants, tous des musiciens en devenir ! L’atelier était aussi encadré par Jean-Marc Delaunay. Il s’agissait d’apprendre à jouer ensemble et à arranger des morceaux, de partager du répertoire, et plus globalement de développer un pratique de musicien de bal. Jusque là, je n’avais jamais mis les pieds dans un bal traditionnel. Ma famille n’était pas investie auprès de l’association, et ne connaissait que le cadre de l’école de musique. De l’atelier de musique d’ensemble s’en est suivi notre premier bal, c’était en 1998, à l’occasion du bal du printemps (je n’en garde que très peu de souvenirs).
Christine Demonteix a ensuite remplacé Lætitia Pilorget pour les cours d’accordéon diatonique, et plus tard nous avons pris des cours avec Éric Champion, une à deux fois par mois, afin de compléter notre formation. En tout, j’ai une dizaine d’années de pratique de diatonique derrière moi.
Mon envie secrète de jouer de la clarinette a été comblée le jour où Sonia Rogowski – grâce à qui j’eus un coup de foudre instrumental – me prêta une clarinette. C’est comme ça que j’ai commencé à « bidouiller » chez moi. On ne m’avait jamais dit comment souffler dedans. J’ai apprivoisé l’instrument tout seul. Peu à peu, j’ai laissé le diato, et avec le temps, j’ai senti que la clarinette me correspondait mieux.
Le jour où mes parents m’ont acheté une clarinette, je m’y suis totalement consacré. Pendant deux ans, Sonia Rogowski m’a appris les bases techniques, et à ce qu’il paraît mon jeu et mon style ressemble fort au sien. Mes études à l’université de Clermont-Ferrand puis à l’étranger m’ont contraint à poursuivre mon apprentissage de manière autonome. Ainsi, j’ai beaucoup appris au contact d’autres musiciens, en bœuf, en atelier ou en bal. Je n’ai jamais réellement passé des heures à travailler chez moi, contrairement au temps de mon apprentissage de l’accordéon. Je pense qu’une pratique autonome d’un instrument est vraiment complémentaire d’un apprentissage dans le cadre de l’école de musique, elle permet un véritable développement du jeu.
À ce sujet, la formation du groupe Komred, en 2004 (l’année où j’ai passé le Baccalauréat), a été décisive quant à ma pratique de la clarinette. Le groupe est composé de Loïc Étienne, mon frère, à l’accordéon diatonique, de Clémence Cognet au violon, Antoine Cognet à la guitare et Mathilde Karvaix et moi-même aux clarinettes. A l’époque, nous faisions partie de l’atelier de musique d’ensemble, et parce qu’on éprouvait une certaine complicité, nous avons décidé de former un groupe, et de prolonger notre histoire en dehors des cadre du cours. J’ai beaucoup appris de la rencontre avec Mathilde car nous nous sommes concentrés sur le « pupitre clarinettes » de Komred. La présence de deux instruments identiques dans un groupe n’est pas toujours évidente, nous avons beaucoup travaillé pour parvenir à développer un son satisfaisant. Nos jeux ne sont pas similaires certes, mais il me semble que nous sommes parvenus à une cohabitation particulière compte tenu de la complémentarité de nos jeux.
À propos, que penses-tu de la place de la clarinette dans les musiques traditionnelles du Massif Central?
À ma connaissance, il paraît difficile de certifier que la clarinette soit un instrument traditionnel de l’Auvergne, et plus largement du Massif Central, si ce n’est une pratique issue du mouvement orphéonique. Cependant, des musiciens traditionnels ont su lui créer un espace de pratique. Je pense en particulier à Frédéric Paris ou à Sonia Rogowski qui sont parvenus à combler le manque de collectages et d’enregistrements autour de la clarinette en trouvant des alternatives de jeu. Ils ont ouvert la route en adaptant des techniques particulières des autres instruments traditionnels (accordéon, vielle, cornemuses) à la clarinette. Les ornementations par exemple – telles que les picotages, les trilles, ou les rappels – ont été reprises. Grâce à ces artistes, on peut reconnaître aujourd’hui un style de jeu de clarinette auvergnat singulier.
Au Gamounet, on rencontre une petite fourmilière de clarinettistes, tels que Mathilde Karvaix , Jacques Puech, Sonia Rogowski et tous les élèves. Pour ma part, j’aimerais vraiment prolonger cette dynamique autour de l’instrument, et donner envie à des gens de jouer. Récemment j’ai participé au « Projet Clarinettes », à l’initiative de Jacques Puech, qui d’emblée m’a séduit et motivé. Parallèlement à ce projet, nous nous sommes retrouvés plusieurs fois à jouer à quatre clarinettes, Mathilde, Jacques, Sonia et moi, à l’occasion d’inter-plateaux par exemple. Cela a créé une envie, et il est possible que par la suite nous continuerons à nous retrouver, en tout cas ça me plairait…. affaire à suivre !
Et quels sont tes autres projets musicaux ?
Le groupe Komred est bien sûr toujours en chemin… Depuis quelques temps déjà, nous avons monté un duo avec mon frère – Duo Étienne – qui a pris corps et qui nécessite encore d’être rôdé. Je joue aussi avec Lucien Pillot, vielleux originaire du morvan. Notre duo est tout neuf, il est né d’un véritable coup de coeur artistique. Notre répertoire s’est élargi à la musique Centre France en général. Enfin, il existe le groupe Les Pieds sur L’air avec Joanny et Noëllie Nioulou, qui pour le moment est un peu en sommeil, mais nous nous voyons toujours régulièrement, et je n’exclue pas de rejouer avec eux !
Tu es aussi un jeune danseur de bourrée talentueux, depuis quand danses tu ?
Il est vrai que souvent les gens me demandent à quel âge j’ai commencé à danser et qu’il est difficile pour moi de répondre, car en fait, je ne sais pas. J’ai commencé à danser quand j’étais petit, notamment dans l’atelier « Éveil Musical ». Mais ce n’était pas des cours de danse au sens propre. Quant à la bourrée, j’ai peut-être une piste…. Je me souviens que lors d’un bal, Éric Champion m’a pris par le bras et m’a dit : « viens je vais te faire danser la bourrée ». Ce souvenir m’a marqué.
J’ai appris à danser par imprégnation, dans ce bain musical qu’est le Gamounet. J’ai aussi beaucoup observé les pratiques de danseurs en bal, et puis un jour je me suis lancé, et j’ai essayé. Je n’ai jamais suivi un stage de danse, même si j’ai travaillé ponctuellement avec Didier et Éric Champion. J’ai développé ma pratique par mimétisme lors des bals.
T’es tu inspiré des collectages ?
Le rapport au collectage et aux sources ne m’est venu que très tard. Je ne m’y suis vraiment intéressé que depuis que j’enseigne la bourrée. J’ai travaillé la bourrée au contact des collecteurs, et par conséquent de leur propre appropriation de ce qu’ils avaient collecté. Ainsi j’appartiens en quelque sorte à la seconde génération. Regarder des films de collectage de danse m’a permis de décortiquer à ma façon la bourrée, pour mieux l’enseigner, et puis aussi pour faire partager les collectages en stage.
Ainsi, tu enseignes la bourrée, depuis quand ? Comment as tu appris à transmettre ? Qu’aimes-tu transmettre ? Adoptes tu une pédagogie particulière ?
Le premier stage que j’ai encadré vaut bien que je le raconte pour l’anecdote ! Nous devions jouer avec Komred dans le sud de la France, au festival de La Motte en Provence. Les organisateurs prévoyaient en plus d’une prestation en bal, la tenue d’un atelier de bourrée auvergnate. Je me suis proposé tout fier devant les copains ! Je me suis retrouvé devant une cinquantaine de personnes dans un grand gymnase, on m’a donné un micro, et j’étais bien obligé de continuer ! Je n’avais encore jamais animé de stage, ni enseigné la bourrée. Aujourd’hui, avec l’expérience, je pense que j’ai progressé!
Dès ce jour, l’enseignement m’a transporté. C’est le pied de transmettre.
Plus tard, Sonia Rogowski m’a demandé d’encadrer les stages avec elle, pour remplacer Laetitia Pilorget (nouvellement Maman). Je l’ai fait avec plaisir. J’ai beaucoup observé la manière dont Sonia Rogowski, Didier et Éric Champion animaient leurs cours, et parvenaient à communiquer des éléments particuliers. Je me suis inspiré des propositions de Sonia. C’est elle qui m’a mis sur les rails, et qui m’a donné des éléments d’enseignement.
Je n’ai bien entendu pas de formation de pédagogue, néanmoins je réfléchis à ma propre méthode d’enseignement. J’apprends constamment. À chaque atelier je découvre des choses, qui semblent bonnes ou qui ne sont pas adaptées, et j’ajoute des petites touches personnelles.
J’enseigne au Gamounet dans le cadre du stage de « bourrée niveau 1 », en février ou en juillet. J’encadre des stages de danse en festival. La proposition de bal plus un atelier est très demandée aux groupes de musique. C’est pourquoi, en plus d’une prestation de bal, j’anime régulièrement des petits ateliers de 3 à 4 heures lors des festivals (par exemple au Grand Bal de l’Europe à Gennetines).
Pour ma part, il me semble plus évident de transmettre la danse plutôt que la musique. Mon expérience s’enrichit au fil du temps, et j’ai envie de la poursuivre. Au mois d’avril j’ai encadré mon premier stage de clarinette, j’ai encore beaucoup de travail à faire. En clarinette, je me suis moins posé de question sur ma pratique et sur un mode de transmission, je n’ai ni discours ni théories sur lesquelles m’appuyer quant à l’enseignement de cet instrument.
Globalement j’encadre des ateliers pour débutants ou grands débutants, même si ça m’arrive de mêler plusieurs niveaux. J’aime apprendre à des débutants, car cela permet d’aller au bout de la réflexion, et de s’interroger sur le fond et les bases de la bourrée. Un stage de longue durée (une semaine) est préférable parce qu’il permet une meilleure imprégnation pour les danseurs.
Les échanges pédagogiques avec d’autres animateurs en danse se révèlent très formateurs et enrichissants. Pour ma part, je prépare peu mes stages à l’avance, je réponds d’une façon dynamique suivant les personnes qui participent à l’atelier. Quand les niveaux sont hétérogènes, il est difficile de préparer une grille de cours. Les éléments me viennent en fonction des niveaux, à la manière dont les gens vont répondre, à leur réception de la matière et aux questions qu’ils posent. Il existe un tas de paramètres qui complexifient la programmation d’un stage. Avec l’expérience, je parviens à observer mes stagiaires et je sais tirer les fils pour les amener plus loin dans leur pratique en contournant les problèmes. J’aime justement trouver des solutions pour mener les stagiaires vers une compréhension des techniques et une aisance dans la pratique de la bourrée.
Récemment, tu as intégré l’équipe administrative de l’association « Les Brayauds », comment le vis-tu ?
Je vais revenir d’abord à mon parcours universitaire pour mieux expliquer ma présence dans cette équipe administrative.
Après le Bac, je me suis orienté vers une licence interculturelle européenne axée sur le domaine franco-allemand, à l’Université Blaise Pascal à Clermont-Ferrand. J’ai choisi le secteur culturel et j’ai obtenu par équivalence une licence classique d’allemand. Dans le cadre de mes études, j’ai eu plusieurs expériences à l’étranger, notamment un stage dans un institut culturel franco-allemand à Aix-la-Chapelle, et une année d’étude dans une université bavaroise en Allemagne. Ces expériences se sont révélées enrichissantes d’un point de vue professionnel et pour mon épanouissement personnel.
J’ai poursuivi ensuite par un master en médiation culturelle et en communication internationale à Nantes, toujours orienté vers le domaine franco-allemand. Dans ce cadre, j’ai fait deux séjours en Autriche : l’un à l’université de Graz, et l’autre à Vienne pendant six mois pour un stage au sein d’un orchestre (en tant qu’assistant du chef d’orchestre et du manager).
J’ai fini mes études il y a huit mois et j’ai commencé à travailler chez les Brayauds en même temps que je finissais d’écrire mon mémoire. Il se trouve que j’avais un intérêt particulier pour l’association (comme vous l’avez déjà compris), et le poste d’« agent de développement culturel » occupé précédemment par Sonia Rogowski était vacant. C’est ainsi que j’ai proposé ma candidature au Conseil d’Administration !
Aujourd’hui, ma passion et mon travail se retrouvent imbriqués, alors que jusque là j’avais séparé loisirs d’une part et études d’une autre. Mon expérience passée auprès des Brayauds – en tant qu’élève, musicien, bénévole, formateur ou membre du C.A – m’aide considérablement dans mon travail. En ce sens, on peut penser ainsi mon expérience professionnelle au sein des Brayauds comme la suite logique des choses. Toute expérience est bonne à prendre, le chemin n’est jamais précisément tracé.
En quoi consiste ton poste?
Mon poste est très polyvalent, ce que je recherchais par ailleurs. J’ajoute constamment des cordes à mon arc en accomplissant plusieurs tâches. Pour être bref, je veille à l’organisation par une aide à la programmation des bals, des stages ou du festival. J’harmonise le calendrier des bals, et je m’applique au suivi des groupes (contrats…). Je m’occupe de la communication par la préparation des plaquettes en lien avec l’imprimeur, en alimentant la page facebook et en mettant à jour le site internet. Je garantis la coordination associative, en rassemblant les bénévoles ou les artistes par exemple. Je coordonne aussi le projet Tradamuse (secteur jeune public). J’ai plusieurs missions de représentation auprès des partenaires. Enfin, j’interviens auprès de l’école de musique.
Ces missions me plaisent bien qu’elles me demandent une énergie constante. Il me reste des choses à apprendre, comme déléguer certaines tâches! Ma formation n’est bien sûre pas terminée, et je dois entretenir et développer un réseau. Il me paraît important que les jeunes prennent le relais et apportent un regard neuf sur notre milieu. J’attends maintenant le mois de septembre avec impatience car j’aurai enfin connu une saison entière et j’aurai un regard plus complet sur mon travail. Ainsi, je pourrai mieux m’organiser et continuer à avancer.
Lucie Braun