Cousinades [#1] – Le trin-trin

Ah ! la famille ! quand on en parle à travers le prisme de la chanson de tradition orale, on sait qu’on est pas loin des ennuis… Si le rossignol des chansons est souvent porteur de mauvaises nouvelles (ah! les amours!), les cousins ont toujours tendance à se comporter comme des coucous, et sont eux aussi (et pas complètement malgré eux) annonciateurs de catastrophes !

Pour preuve, nous souhaitons vous présenter cette chanson qui traite le sujet d’une façon assez claire ! Elle a été chantée il y a deux ans, le 15 janvier 2018, à Jacques Puech par André Anthouard, de Polignac.

L’écoute de cette version du « cousin » (dont Patrice Coirault a catalogué le type sous la cote : 5915 Le cousin Jacobin) donne le sourire, et cela pour plusieurs raisons. D’abord, la version mélodique, simple mais peu courante ; ensuite, la narration qui est très bien menée et les paroles qui sont bien écrites ; le phrasé se prêtant à multiples variations rythmique ; surtout, et enfin, de trouver en 2018 une telle pépite aussi fraîche dans la mémoire collective.

Il n’était donc pas possible de passer à côté d’une petite étude détaillée ! Nous vous proposons de voir chacun des points que nous venons d’évoquer.

  • LA MELODIE

Voici un aperçu de la partition :

La mélodie semble très simple, constituée de motifs de notes plutôt conjointes, ces motifs s’enchaînant de telle façon que l’air rentre immanquablement dans la tête ! Sa structure est typique de la chanson traditionnelle en Massif central, à savoir deux parties, soumises ici à des reprises systématiques. La première partie (première portée) plus courte que la deuxième (les deux autres portées), chaque portée formant une phrase musicale, chaque phrase composée de deux motifs (ceux-ci correspondant aux mesures).

Nous avions isolé cette structure spécifique dans le livre-CD : Des chansons tissées aux fuseaux, E. Desgrugillers et D. Perre, ed. AMTA / Les cahiers de la Haute-Loire, 2014. Les trois phrases de deux motifs réparties en deux parties musicales sont un signe de la transmission orale. L’articulation de ces trois phrases correspond à un extrême raccourci d’une structure de conte, à savoir : une situation de départ, un événement, et une conséquence.

On peut résumer cette construction des phrases musicales (comme une « grammaire »)  ainsi :

1- je vous dis quelque chose (première portée). 2-mais je vous dis autre chose (seconde portée). 3-donc, je vous dis cette chose (troisième portée). C’est la troisième phrase qui offre le dénouement, les deux premières faisant figure d’attente, de suspens. Les motifs mélodiques sont agencés selon cette structure et leur note finale est soit suspensive soit conclusive. Ici, seul le dernier motif (soit la dernière mesure) conclue sur un do (qui est la tonalité de base de la chanson, la note référente). Seule cette note (ici : do) donne une impression de fin. Tous les autres motifs sont suspensifs, mais on peut distinguer trois qualités de suspension : une forte, une faible et une moyenne, pour faire simple.

La première phrase propose deux motifs terminant sur la quinte (sol) : suspension moyenne. On peut s’arrêter sur cette note, on sent qu’il va y avoir une suite, mais on n’est pas pressé, on peut rester un peu sur cette quinte, ce n’est pas inconfortable (d’ailleurs, le sol est soumis au point d’orgue)

La deuxième phrase propose un premier motif à suspension moyenne (sol), puis un second à suspension forte (sur le second dégré, ici : ré). Là, l’attente est insupportable, il faut à tout prix conclure.

La troisième phrase retarde un peu la conclusion avec un premier motif à suspension faible sur la tièrce (ici, un mi), puis enfin notre do tant attendu !

Sans parler encore des paroles la mélodie seule maintient un véritable suspense rien que dans son agencement. Pour résumer voici un petit tableau :

PARTIES MUSICALES

PHRASES MUSICALES

MOTIFS MUSICAUX

PARTIE A Je vous dis… Suspension moyenne Suspension moyenne
PARTIE B Mais… Suspension moyenne Suspension forte
Donc… Suspension faible CONCLUSION
  • LA NARRATION

L’histoire avance assez lentement, s’étalant sur 7 couplets :

 

Le premier jour de mes noces savez-vous c’qu’il m’arriva (bis)

On vint frapper à la porte et le trin-trin, c’était le père jacobin et le trin-trin, et le trin-trin (bis)

 

Il a dit : cousine à ma femme, ma femme lui a dit : cousin (bis)

Par rapport au parentage et le trin-trin, Je fis entrer le cousin et le trin-trin, et le trin-trin (bis)

 

Je lui ai donné la chambre la plus proche de mon lit (bis)

Tout’ la nuit ma pauvre femme et le trin-trin, elle n’a pas pu dormir et le trin-trin, et le trin-trin (bis)

 

Ell’ se plaint de mal de tête et me demande à sortir (bis)

Moi qui ne suis ni fou ni bête et le trin-trin, de pas à pas je la suivis et le trin-trin, et le trin-trin (bis)

 

J’ai trouvé ma pauvre femme entre les bras du cousin (bis)

Je lui ai dit : Ah ! vilain moine ! et le trin-trin, Ah ! tu en es un bon cousin ! et le trin-trin, et le trin-trin (bis)

 

Quand on a de jolies femmes tous les hommes sont des cousins (bis)

Et jusqu’à ce vilain moine et le trin-trin, et jusqu’au père jacobin et le trin-trin, et le trin-trin (bis)

 

J’entends le coucou qui chante à la cime de mon lit (bis)

Chante, chante jolie bête et le trin-trin, tu es cocut*et moi aussi et le trin-trin, et le trin-trin (bis)

 

La conclusion est un jeu de mots sur les termes « cocut » (en occitan, désignant l’oiseau, le coucou) et « cocu » (en français qui désigne familièrement un mari trompé). L’origine des termes est la même, le coucou prenant la place d’une autre dans le nid. L’image est parlante d’elle-même. Nous avons donc choisi d’écrire cocut en occitan, d’abord par rapport à la prononciation ambigue (o ou ou?) puis par rapport à l’ambivalence du mot dans la construction de la phrase.

La façon dont est écrite la chanson participe pleinement au suspense ambiant : certains motifs présentent des paroles qui n’apportent aucune action et mettent l’avancée de l’histoire en attente : par exemple le second couplet ne présente qu’un information importante : je fis entrer le cousin. Le reste est de l’attente. Le refrain et son extrême répétition retarde encore les conclusions.

On retrouve des formulations qui font le charme de la chanson traditionnelle, et qui en même temps, grâce aux images qu’elles transportent permettent de se faire un véritable film : Il a dit : cousine à ma femme, ma femme lui a dit : cousin, Par rapport au parentage, Moi qui ne suis ni fou ni bête, de pas à pas je la suivis, etc… Ces formulations populaires sont un réel plaisir en bouche, d’autant plus avec une mélodie aussi bien construite et aussi souple.

D’ailleurs, la souplesse de la mélodie n’est pas seulement dûe à sa structure, mais elle doit beaucoup au phrasé et aux variations rythmiques.

 

  • LE RYTHME

L’ossature rythmique, là encore, est très simple : il s’agit d’un enchaînement de croches, avec quelques arrêts (blanche et noires) et quelques très légers rebonds sur le refrain (croche pointée – double croche).

Nous pouvons observer qu’au tout début de la troisième phrase, nous avons une attaque sur un triolet, qui, au lieu de découper le temps en deux (deux croches), le découpe en trois (trois croches en triolet). Sauf que ce triolet ne concerne que le premier couplet. Suivant l’agencement des mots des paroles, ce triolet se déplace et peut se retrouver en attaque sur un autre motif (je vous laisse faire vous-même le relevé!). De la même façon, le découpage en deux croches s’échange très facilement avec le motif rythmique du refrain (croche pointée – double croche).

Autrement dit nous avons trois cellules rythmiques possibles : deux croches / un triolet / croche pointée – double croche. Ces trois cellules sont interchangeables et le chanteur les emploie à son gré.

Nous notons également un changement dans les appuis lors de la suspension forte : nous avons noté une mesure à trois temps car il manque un appui dans ce motif par rapport aux autres. On le sent bien en le chantant (et en l’écoutant), le retour régulier de cette mesure impaire au milieu de la mélodie lui évite le train-train (sans jeu de mots…) du 4/4. L’art du balancement rythmique de la chanson traditionnelle est assez fin et présente toujours ce genre de subtilités.

Enfin, l’ensemble est rubato, le débit est souple et variable, certaines croches sont plus appuyées que d’autres suivant les mots, ce qui donne une interprétation très vivante et toujours rythmiquement renouvelée !

 

Vous pensez peut-être qu’on a fait le tour ? Pas du tout ! Pour cette chanson, on va s’arrêter là, mais nous allons visiter un peu la famille et voir d’autres cousins ! Je peux vous faire une promesse : la facétie des paroles est toujours traduite de façon très ingénieuse dans la musique, et vous n’êtes pas au bout de vos surprises !!

à bientôt donc, à la prochaine cousinade !

Eric Desgrugillers

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