La bande de Babayaga sort son deuxième album !
Un événement attendu de pied ferme dans toutes les caves et lieux alternatifs clermontois où rugit leur chant unique depuis 2006, mais aussi par tous ceux qui les ont un jour entendus, sous les projecteurs d’une scène conventionnée de musiques actuelles ou sur la route des festivals les plus divers. Dans le monde de la bourrée à trois temps, on les méconnaît trop, et pourtant ils font partie du noyau dur des musiques du monde en Auvergne, et ont cheminé longtemps avec certain(e)s grand(e)s interprètes des musiques du monde d’ici.
Babayaga, quintet qui s’affiche sous un nom de sorcière, mijote ses potions depuis 9 ans et digère là ses multiples expériences d’un au-delà musical qui fait tourner les tables et danser les filles. Nous voilà aujourd’hui avec « Nochtni Tchorapi », 9 titres entre les mains.
Bien sûr, il est inutile de préciser que l’écoute de cet album nous immerge dans un voyage, comme souvent chez ceux qui investissent corps et âmes le champ des musiques du monde, en l’occurrence celles d’Europe de l’Est ; mais ici, soyons plus juste en précisant qu’on embarque avec fracas dans un périple écrit au cordeau, tendu sur le fil d’une plume musicale à plusieurs mains raffinées (sûrement toutes), où rien n’est laissé au hasard. Il faut dire que ces cinq garçons dans le vent de l’inspiration ont un goût indéfectible pour l’histoire qui laisse des traces en avançant.
Les Débuts
A l’origine, Nils Cheville à la guitare, Antoine Chaunier à la trompette, Thomas Peyronnet à la batterie, et Alex Peronny au violoncelle et à la basse, se retrouvent pour jouer du rock progressif après les cours du conservatoire. Puis une rencontre avec Yann Le Glaz les entraîne dans la grande traversée des musiques de l’Est. Évidemment, une telle idée nécessite de s’y connaître un peu…
Yann : « On essayait de piquer des thèmes traditionnels Klezmer qu’on entendait sur Youtube… Je me rappelle aussi avoir emprunté pas mal de disques à la médiathèque de Jaude… »
L’intérêt est alors d’utiliser les codes et les modes de ces musiques pour faire du rock progressif. Mais l’envie de consacrer toute leur vie à la musique les prend, et les voilà qui se lancent dans la rue, comme les nomades, à monter un répertoire acoustique qui s’éloigne du son « rock » qu’ils affectionnent pourtant toujours. A cette période, Antoine quitte le groupe (il le rejoindra plus tard pour remplacer Alex à son départ), et Clémence Cognet rejoint la bande au violon. Le groupe tourne ensuite partout où c’est possible, on les voit faire la 1ère partie de Kusturica à la Coopé, on les croise aussi dans des mariages, au bord des marchés aux puces… Puis bientôt vient une grande tournée dans les SMACS et les centres culturels de France et de Navarre. C’est à ce moment qu’ils enregistrent leur premier album, en auto-production. Tiré à 1000 exemplaires, tous vendus à ce jour.
De la recherche à la création !
Yann, dans le cadre de ses droits AFDASS, décide de s’offrir un voyage initiatique dans les Balkans. Il part avec Erik Marchand à la découverte des musiques qui le touchent depuis toujours. Entre mer adriatique et mer noire, il enchaîne les stages en Roumanie, Bulgarie, Macédoine, et rencontre notamment son professeur Erol Asimov, dont on entend la furieuse clarinette dans l’album nouveau. A son retour, Clémence ayant quitté le groupe, c’est Ben Bardiaux qui la remplace aux claviers : les musiciens renouent avec le son électrique de leur adolescence, mais s’attèlent à jouer la vraie musique des Balkans, qui là bas aussi, est jouée avec synthétiseurs, batteries et instruments amplifiés.
Antoine « Au départ, cette musique nous paraissait moderne, dans le sens où ça n’était pas notre culture, mais un héritage qui venait tout juste de nous parvenir. Il y avait aussi un engouement tout neuf en Europe de l’Ouest pour ces musiques là, portés par certains DJs par exemple, grâce au succès des fanfares comme taraf de haïdouks, Kocani Orkestar ou la fanfare Ciocarlia. »
Yann « En réalité, on s’est toujours inscrits dans quelque chose de moderne, pas uniquement parce que c’était nouveau pour nous ici, mais tout simplement car ce sont des musiques modernes ! Les Balkans n’ont pas eu la même histoire que les pays occidentaux comme le nôtre, leur musique populaire n’a subie aucune rupture, elle n’a jamais cessé de se développer. C’est sûrement pour cela qu’ils ont acquis des virtuosités ornementales pareilles. »
En effet, cette virtuosité, on peut l’apprécier largement sur le disque, qui reste en tête et tourne en boucle -à sept, huit ou onze temps- après écoute. Produit avec exigence et finesse, il a été enregistré avec les aides du Conseil Général et de la Ville de Clermont-Ferrand, ce qui a permis d’effectuer les prises de son au studio professionnel « Improve Tone » à Lezoux.
La quête de l’émotion musicale
Mais la question me trotte encore dans la tête : Pourquoi avoir choisi cette musique traditionnelle là plutôt qu’une autre ? Antoine et Yann me répondent, un peu tous azimuts.
On y va :
Yann : « J’avais envie de progresser sur mon instrument, mais je voulais faire autre chose que de la musique classique parce que l’apprentissage m’en avait un peu dégoûté. Et en même temps, je n’avais pas particulièrement envie de jouer des standards de jazz… »
Antoine : « Oui, disons qu’en tout cas tu n’as jamais vraiment voulu te tourner vers l’Amérique. »
Yann : « Aujourd’hui on pense que les techniques de jeu au saxophone viennent forcément du jazz, mais quand on réalise que c’est un instrument traditionnel, qui se pratique depuis trois ou quatre générations en Bulgarie et en Macédoine, et qu’en 1910 on en jouait déjà en Turquie… Et il y a de quoi y passer toute une vie ! »
Avec de tels arguments, on comprend mieux. Et pour Antoine ?
Antoine : « Moi j’ai baigné dans le fantasme un peu gipsy des films de Kusturica, avec un beau-père qui écoutait des disques de fanfares balkaniques en buvant son shooter de vodka… J’ai toujours aimé cette musique, que je trouve à la fois très festive et noble, parce qu’elle ne cède jamais à la facilité. C’est aussi ce qui me plaît dans le rock progressif et le jazz, c’est cette virtuosité au service du lâcher-prise. La quête du lâcher-prise. Dans la musique balkanique, je retrouve ça. C’est une musique qu’il faut apprendre à jouer, qui nécessite un travail, et en mettant le nez dedans je me suis rendu compte de toutes les difficultés rythmiques qui m’ont finalement ouvert plein de portes. Parallèlement, je vais souvent apprendre à chanter en Inde, parce que quand j’étais ado, j’adorais John McLaughing et Zakir Hussain dans Shakti, et qu’en allant en Inde par hasard, j’ai pu voir cette musique indienne effectuée sur place, j’ai pu ressentir le degré de dépassement de soi qu’elle requiert : ce que jouent les musiciens ne leur appartient quasiment plus. C’est un peu cela que je recherche. Pour un musicien occidental, c’est très difficile de se mettre dans la tête qu’une note n’est pas seulement une note : c’est une vibration, une sensation, une émotion… Et dans le parcours classique au conservatoire, il faut atteindre l’excellence et le rôle de soliste pour qu’enfin on vous parle d’interprétation. Émotionnellement, j’avais besoin de découvrir et de travailler ça avant. »
Ils me voyaient sûrement venir avec mes gros sabots, je leur demande aussitôt pourquoi ils ne s’étaient pas plus intéressés à la musique de chez eux.
Yann : « Moi, je viens de Lozère, ma grand-mère habitait dans le fin-fond des Cévennes, j’ai grandi à la campagne mais malgré ça, à part une ou deux chansons qu’elle savait, je n’ai jamais pu m’imprégner de la musique lozérienne, ni même française : il n’y avait pas de bal trad, il n’y avait pas de cours… Mais la situation a beau être différente ici, vous (l’AMTA, ndlr) êtes l’exemple que les musiques traditionnelles ne sont pas perdues en France, mais qu’au contraire il y a toujours des gens qui s’y intéressent. D’ailleurs, ça ne me déplairait pas de monter un nouveau projet autour des styles de saxophone, de clarinette ou de hautbois du Massif Central… En fait, j’y connais rien, je crois que travailler sur les musiques auvergnates ou languedociennes ce serait aussi dépaysant pour moi que sur les musiques Bulgares ! »
Quant à « нощни чорапи » (phonétiquement « Nochtni Tchorapi ») qui signifie « Chaussette de Nuit », mais qui est aussi le titre de leur dernier album, on peut se le procurer chez Auvergne Diffusion ici : http://www.auvergnediffusion.fr/babayaga-houfhu-yopanu.html# !
Wilton