Du 10 au 14 Mai, Romain Baudoin (membre du groupe Artùs et du collectif Hart Brut) est venu travailler avec trois groupes Clermontois dans le cadre du projet « Va Sampler Ta Grand-Mère », dont le rendu aura lieu le 15 Juin à la Coopérative de Mai, lors de [mc] L’événement (organisé par l’AMTA et l’ANCT).
Ce dispositif vise à encadrer des résidences d’artistes pour amener des musiciens, de tous styles et de toutes esthétiques, à la découverte du Patrimoine Culturel Immatériel (abrégé PCI) de leur région ou de leur pays d’origine, et à l’utilisation des sources récoltées dans leur pratique musicale…
L’HISTOIRE D’UNE RENCONTRE AU DELÀ DES CLOISONS
A l’initiative de cette rencontre, il y a François Audigier, responsable de la Pépinière de Mai, service émanant de la Coopérative De Mai qui est dédié à l’accompagnement des structures et des artistes locaux. Au départ, La Pépinière était un espace de co-working où différents porteurs de projets liés aux musiques actuelles pouvaient occuper les mêmes bureaux et bénéficier d’un centre de documentation, de l’aide des salariés de la Coopé et d’interlocuteurs privilégiés. Petit à petit se sont organisés les « Rendez-Vous de la Pépinière » durant lesquels les divers artistes et collectifs pouvaient rencontrer d’autres témoignages et expériences, et c’est dans ce cadre que François a proposé d’importer le dispositif « Va Sampler Ta Grand-Mère » du collectif Hart Brut, qui fonctionnait déjà en Aquitaine : « Je suis l’actualité de la Familha Artùs depuis environ sept ans, parce que leur musique me parle beaucoup. La rencontre avec Romain Baudoin s’est faite grâce à Nicolas Mayrand de la Scène Trad de Gannat qui l’avait programmé. Nous avons parlé du projet « Va Sampler Ta Grand-Mère » et le temps qu’on trouve les financements et qu’on se mette d’accord sur les principes, le projet était lancé ». Les principes du projet, malgré les apparences, sont clairs et précis. Romain Baudoin sait parfaitement ce qu’il fait :
« Cette idée est née d’un retour sur notre propre pratique, au sein du groupe Artùs. Depuis 14 ans nous travaillons sur le PCI des Landes et du Béarn avec une esthétique rock noise, et nous nous sommes demandés ce que cela aurait donné si on était plutôt plongés dans le reggae ou le hip-hop. C’est là, partant du constat qu’avec la même matière, on peut obtenir plusieurs résultats, qu’on s’est intéressé à appliquer la même démarche avec d’autres esthétiques. Nous avons décidé de proposer à différents groupes, sur différents territoires, de se réapproprier leur patrimoine le temps d’une création. » La sélection des groupes auvergnats qui allaient participer à cette aventure s’est faite conjointement entre Romain Baudoin et La Coopérative de Mai. François revient sur cette étape :
« Ce qui m’a beaucoup plu, c’est l’idée de casser les cloisons, d’aller prendre des choses dans tous les genres, de mettre tout ça dans le shaker et d’avoir un rendu original. Nous avons donc décidé de prendre Imposture, un groupe d’électro bien barré qui vient de Thiers, car j’avais bien compris l’importance du territoire. Ensuite, le choix de la Granja Orchestra (reggae) était évident car cela faisait un bon moment qu’ils voulaient travailler sur le sampling, d’autant plus qu’ils répètent dans une grange dont le propriétaire est un paysan atypique qu’ils voulaient enregistrer. Enfin, nous avons sollicité Ultrazook, qui est le groupe que nous pouvons le plus rapprocher d’Artùs, sur l’aspect radical de leur musique, qui est indescriptible. Tout ce qu’on peut dire, c’est que ce sont trois personnalités très fortes… et que leur projet est bien secoué. » Le premier temps a été un Rendez-Vous de La Pépinière durant lequel le groupe Artùs est venu présenter sa démarche en tant que collectif et label autoproduit, suivi d’un concert. Puis les trois groupes ont pris à bras-le-corps le sujet en allant se documenter à l’AMTA où résident plus de 1000 heures d’archives sonores sur le PCI auvergnat… Un excellent moyen, pour François Audigier, de « pousser les artistes à travailler sur leurs origines et de les recentrer sur l’endroit d’où ils viennent. »
RETROUVER SON PATOIS… SANS PERDRE SON LATIN
Le groupe Ultrazook, trio de musiciens appartenant à la grande famille du rock progressif, s’est forgé un univers dans lequel se croisent leurs expériences passées au sein de groupes variés comme Kafka, Kunamaka, Senoys, Babayaga… Aujourd’hui, avec le projet « Va Sampler Ta Grand-Mère », les musiciens ont découvert un vrai moyen de développer leur matière musicale à travers la recherche de sources de collectage. Manu, guitariste, nous en dit un mot :
« Ca fait quinze ans que je fais de la musique, et le 4/4 du rock’n’roll, les harmonies en trois accords et les cadences parfaites, j’en ai eu un peu marre. Je suis ensuite passé par le noise, le hardcore et l’expérimental, mais finalement on en fait assez vite le tour. Aujourd’hui, aller chercher dans les musiques ethniques nous permet d’expérimenter plein de choses, notamment au niveau des structures rythmiques impaires et des couleurs harmoniques. Se plonger dans les sources de collectage apporte de nouveaux matériaux et de nouvelles directions ». Il a pourtant fallu un peu de temps à François Audigier pour convaincre le groupe de participer. Au départ, Manu ne se sentait pas du tout embarqué par l’idée de jouer de la musique d’Auvergne, tant la ligne artistique du groupe est radicale. Finalement, ils ont pris part au projet lorsque Rémi, le batteur, s’est souvenu d’une chanson que ses grands-parents d’Aurillac lui chantaient dans son enfance. « Lous Esclops », standard incontournable du chant cantalien, s’est ainsi retrouvé dans le set d’Ultrazook… Avec le son d’Ultrazook ! Ben, le claviériste, s’est intéressé particulièrement à sa montagne bourbonnaise natale en sélectionnant une chanson du pur style grivois, qu’il affectionne particulièrement… Pour l’avenir, Manu, qui est métis d’origine Mong, projette de partir à la recherche des musiques traditionnelles de ce peuple partagé entre le Laos, le Vietnam, l’Indochine et la Chine pour travailler à la réappropriation de son patrimoine, et aller sampler sa vraie grand-mère !
DES QUESTIONS POUR AVANCER
Romain Baudoin insiste bien sur le fait qu’il n’existe pas une musique traditionnelle d’un côté, et une musique actuelle de l’autre. Nous disposons seulement d’un éventail de choix esthétiques, qu’il est nécessaire d’habiter par un propos assumé.
« Quand on fait du rock, on a toujours tendance à faire appel à des références américaines ou anglaises, mais ce qui nourrit la création c’est de se poser la question de pourquoi on le fait. Ou plutôt, par exemple, qu’est-ce qui fait que la Granja Orchestra, qui écrit des textes sur des quartiers de Jamaïque où ils ne sont jamais allés, n’est pas totalement un groupe de reggae Jamaïcain ? Les artistes sont là pour apporter du sens, transcender la réalité. Ainsi se poser la question de ce que l’on est, et de ce que l’on représente, est indispensable. Et c’est aussi pour nombre de groupes une façon de trouver son originalité, de se démarquer de tous les autres groupes qui font le même travail esthétique qu’eux. » De son côté, François Audigier de la Coopérative de Mai souligne l’aspect limitant du terme de « musiques actuelles » sensé être le critère de programmation de la salle. « Prenons le rock’n’roll : on a fêté les cinquante ans du rock à Clermont, ce n’est plus vraiment une musique actuelle. Et pourtant dieu sait qu’on en programme ! C’est pour ça que je préfère le terme de « musique amplifiée », qui ouvre le champ des musiques traditionnelles jusqu’au Hip-Hop. » La journée du 15 Juin, dans le cadre de [mc] l’événement, ne présentera pas seulement le rendu des travaux accomplis par Imposture, Ultrazook et la Granja Orchestra… Sur le parvis, dans le Club comme dans la Grande Salle, ce ne sont pas moins de neuf groupes qui se succèderont à la Coopé, échangeant pratiques et regards d’avenir sur les musiques des territoires d’Auvergne, dans l’idée que de futurs partenariats nous aiguillent encore sur les interrogations nécessaires à la création, et sur les chemins à prendre…