Trois Plateaux

Entretien avec François Breugnot autour de la suite de bourrées qu’ils ont enregistrés avec Cyril Roche sur leur disque Sauvage Central.

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Pourquoi ce titre, 3 plateaux ? Pourquoi ces morceaux en particulier ?

Il s’agit d’une suite de 3 bourrées, chacune venant d’un plateau du Massif Central. La première, « Calarem, calarem pas » était jouée par Joseph Perrier en Artense, la seconde nous vient du Cézallier (« Bourrée à Chandezon »), et la dernière, « Cantagal », arrive tout droit de l’Aubrac. « Calarem calarem pas » a été choisie car je me suis rendu compte qu’il était intéressant de détourner le climat harmonique de ce morceau.

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calarem calarem pas

La version jouée par Joseph Perrier est plutôt tonale, en Sol majeur. Je me suis amusé à déplacer le centre tonal de ce morceau, d’introduire la tonalité de mi mineur. Ici, le morceau est en Sol (« à l’évidence ») donc certaines notes reviennent avec insistance sur les points d’appuis :  le Sol évidemment et le Ré qui est sa quinte. Si on joue sur ce Ré un accord de Mi mineur, il devient une septième ce qui donne une toute autre couleur au morceau. Un autre procédé qui « amène » vers cette nouvelle tonalité consiste à remplacer certains Ré par des Mi.

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calarem calarem pas B

Ce système fonctionnant parfaitement sur ce morceau et entendant la couleur donnée, nous avons cherché une autre bourrée qui pourrait s’enchaîner avec. Notre choix s’est porté sur la bourrée à Chandezon jouée par un violoneux surnommé « le Pijat » dont le répertoire nous a été transmis par la voix de sa nièce, Mme Fauret, collectée par Jean-Claude Rieu à Issoire en 1994.

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A partir de l’idée harmonique vue précédemment, Cyril a construit une grille, une sorte de tourne, de boucle sur laquelle il était aisé de poser la bourrée à Chandezon. Il n’y avait rien de prémédité, d’écrit. C’est par le jeu et par l’écoute, par tâtonnement que l’enchaînement s’est construit : c’est plus un travail d’artisan de la musique que de compositeur. La dernière bourrée est jouée par l’accordéoniste Gicou Daunis dans l’Aubrac.

Elle est un plus « ronde » que les 2 autres et termine bien la suite. Une autre aurait pu la remplacer mais lors des répétitions, nous avions cette bourrée en particulier dans la tête. Le choix des morceaux vient aussi d’un temps donné, le temps suivant, les choix peuvent être différents. A l’heure actuelle, cette suite est devenue pour moi un seul et même morceau et non un enchaînement de 3 différents. Je dirais que les mélodies « parlent » entre elles !

Peut-on mettre un peu plus en lumière les outils dont vous vous servez pour lier ces trois mélodies ?

On se sert beaucoup des éléments rythmiques de la mélodie pour créer des riffs, des ponts musicaux qui s’appuient sur la ligne harmonique jouée à l’accordéon. C’est comme si nous passions la bourrée dans un tamis et qu’il ne restait que le rythme. Par exemple, entre « Calarem, calarem pas » et « Chandezon », nous nous servons du rythme du premier morceau, en déplaçant le temps fort pour créer un riff.

Rythme début

Ce riff est d’une nature particulière dans le sens ou il permet de créer une « respiration » en marquant une accentuation sur des valeurs binaires (3 noires en 3/8) en début et en fin de phrase (sur 8 mesures) à la manière d’un « compas » désormais répandu dans la bourrée «actuelle».

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Pour moi, c’est le rythme qui va caractériser la bourrée : je ne pourrais jouer que le rythme, ça resterait une  bourrée. A partir de là, nous colorons avec une harmonie, une couleur modale. Ici c’est la tourne de Cyril qui tient la dynamique et moi je me pose dessus. On peut d’ailleurs constater que sur la totalité de la suite, Cyril ne joue quasi jamais la mélodie, il tient la baraque !! Ça fait partie de notre manière de travailler, Cyril va rapidement chercher une grille rythmico-harmonique me laissant une grand liberté pour jouer les mélodies, les varier, les transformer… Concernant la bourrée de Chandezon, elle est conçue comme une respiration au milieu de l’ensemble. Nous avons gardé ici la mélodie telle que nous l’avons entendue dans le collectage lors de la deuxième reprise sur les 3 jouées. Elle se trouve « encadrée » par une version présentant une  variante sur les 4 premières mesures .

L’intérêt de cette bourrée réside pour moi dans sa structure, dans la longueur de ses phrases. Elle est en réalité construite comme une seule grande phrase très habilement « tournée ». C’est un formidable objet d’artisanat musical auvergnat. ! Je reste émerveillé par le génie populaire des musiciens qui d’un seul coup ou même par la transmission de l’un à l’autre créaient des objets de cette densité ! Pour en revenir au morceau lui-même, son côté bancal permet de contraster avec la précédente qui est « carrée » avec 16 mesures par partie. De plus, cette bourrée est construite sur des effets de surprise : le motif qui se répète (mes. 3-4-5) au début surprend puis, dans le déroulement, on a de nouvelles propositions qui débutent au milieu d’une mesure ( mes 16) qui dynamisent énormément l’ensemble.

Bourrée de Chandezon classique

C’est une bourrée qui est très agréable à jouer, elle parait très proche du langage parlé avec ses points, ses virgules… Je modifie très peu la mélodie ici, j’introduis juste un départ un peu différent calqué sur le squelette rythmique. Il me semble que cette bourrée est assez singulière et étonnante.  Elle se suffit à elle même et dans la suite elle sert de faîtage entre les deux autres bourrées. Pour la dernière bourrée, on revient à situation assez standard me semble-t-il. Après un pont musical composé d’un riff  mis en boucle (qui est le même que celui joué pour lancer « Calarem, calarem pas »), on expose un nouveau thème de bourrée que l’on varie. Le riff ici sert plus de présentation et d’introduction que de lien entre les morceaux même si évidemment cet aspect là est présent.

Ecoutons une interprétation de la bourrée « Cantegal » par « Les costauds de la lune » : https://amta.fr/wp-content/uploads/2013/02/06-Bourrée-de-Chantejal-Si-Vous-Saviez-Jeune-Fille.mp3

Cantagal

Cette dernière bourrée est très fluide, elle est parfaitement adaptée au jeu des accordéonistes de l’Aubrac, elle coule et chante toute seule. Rythmiquement, elle est simple, posée, elle fait du bien après Chandezon, on revient dans un schéma plus classique mais très efficace.

 

François Breugnot et Jacques Puech

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