Loïc Etienne du groupe Bougnat Sound nous amène sur le chemin de l’appropriation d’un « standard » par un groupe actuel. Il a choisi de prendre le titre « La montagnarde/Notre montagnarde » qu’ils ont enregistrés sur leur disque Bon Esprit ! pour illustrer son propos.
Pourquoi avoir choisi ce morceau en particulier ?
Je vois 2 raisons à cela. D’une part, nous avons la volonté avec Bougnat Sound de reprendre des standards. Nous trouvons l’idée de jouer des morceaux qui ont déjà été usés par tant d’autres vraiment intéressante. D’autre part, ce morceau a une particularité au niveau de la ligne mélodico-rythmique qui lui donne un « groove » singulier que l’on ne retrouve pas sur d’autres bourrées.
Cette particularité est sensible sur la première partie où l’on a envie d’accentuer les 2 temps faibles, les temps 2 et 3 des 2 premières mesures. La seconde partie n’est pas sur le même mode, elle est plus classique, on accentue plus naturellement les 3ème et 1er temps.
Le morceau est joué en La mais nous l’écrirons en Do pour des soucis de lisibilité.
Extrait montagnarde Loïc Etienne
Pourquoi avez-vous décidez d’enregistrez ce titre ?
Comme je l’ai dit, au départ, c’est le morceau en lui-même qui nous intéresse pour ses particularités. Nous nous sommes alors mis à le jouer en bal, sans arrangement, la formule accordéon – banjo – cabrette fonctionnant bien pour ce type de répertoire. Il se trouve qu’à Paris beaucoup de personnes dansaient la chorégraphie spécifique à ce morceau. Il avait beaucoup de succès et permettait à des personnes ne sachant pas danser d’entrer dans le cortège. C’est aussi pour cela que nous avons voulu le garder et l’enregistrer : nous étions à un carrefour entre notre plaisir de jouer ce morceau et le plaisir qu’il procurait aux danseurs.
Comment avez-vous procédé pour l’arrangement ?
Nous nous sommes inspirés du disque solo de Dominique Paris – « Dominique Paris », Cinq Planètes et L’Autre Distribution – dans lequel il joue la montagnarde. Il l’enchaine avec une autre version – qui semble être une adaptation de la Montagnarde de Latour notée dans L’Album Auvergnat de Jean-Baptiste Bouillet- qui conserve la structure rythmique de la première partie.
Nous avons nous aussi fait une sorte de contrechant respectant la ligne rythmique qui nous permet de garder l’aspect suspensif du morceau. Au niveau de la ligne mélodique, nous avons voulu changer le mode ainsi que la hauteur de la mélodie, on a recherché une nouvelle couleur pour le morceau. Elle s’est façonnée par le jeu, par tâtonnement, par expérimentation jusqu’à ce que nous soyons satisfaits.
En réalité, il ne s’agit pas d’un contrechant car on ne peut pas les superposer, c’est plutôt une autre version du même morceau. D’ailleurs, nous ne considérons pas ça comme une composition : ce n’est pas vraiment un nouveau morceau, plutôt un arrangement, un pont…
Pour l’accordéon, le changement de version amène un changement dynamique : le tiré-poussé remarquable de la première version n’est plus possible sur la seconde. Cela amène donc un changement au niveau de la main gauche. Sur la première version, elle joue un rôle d’accompagnement rythmique, alternance d’accords de do majeur et sol majeur. Sur la seconde, plus modale, j’ai choisi de faire une ligne de basse qui renforce la couleur du morceau. Je change aussi le rythme sur cette ligne de basse, je les joue en 2 temps sur du trois temps.
On peut noter aussi que l’on passe d’une bourrée à dominante poussé à une bourrée à dominante tiré. Cela influence le bourdon que l’on joue, ici, un sol. Dans les morceaux traditionnels, on retrouve ces 2 types de bourrées. Par exemple : Les 5 noisettes est à dominante poussé et induit un bourdon de do tandis que Jolie Musette est à dominante tiré et induit plus un bourdon de sol.
Sur la question des versions, nous pouvons faire un parallèle avec la bourrée Quau te mena joué et chanté par Joseph Perrier, fameux violoneux de l’Artense. Il joue et il chante le même morceau successivement et pourtant, objectivement, ce ne sont pas les mêmes mélodies d’un point de vue métrique, rythmique mais surtout modal.
Cela offre à réfléchir sur la standardisation des versions. Qu’appelons nous standard ? N’est ce pas seulement une version fixée sur un support, écrite, sous forme d’enregistrement ou de partition ? Le collectage, dans sa fonction de sauvegarde – fonction prioritairement mise en avant depuis les débuts des mouvements de collecte-, n’est-il pas déjà un vecteur de standardisation ? Ne fige-t-il pas les versions ?
En cela, l’exemple des montagnardes de Bougnat Sound est intéressant car il propose, au delà de la version « standard », une ouverture, une porte vers l’appropriation et l’interprétation.
Loïc Etienne & Jacques Puech