Trois inconnus arborant moustaches furent pris par l’œil d’un professionnel de la photographie pour preuve le dos des ces trois épreuves. L’on peut d’ailleurs en profiter pour établir quelques remarques d’importance dans le cadre de leur profession. L’un arbore ses médailles dans les sous les …et parle de grande photographie moderne où il précise qu’il possède un salon de pose. Il indique également qu’il conserve les clichés de ses clients et qu’il peut réaliser des agrandissements et des reproductions ainsi qu’une chose qui a aujourd’hui disparu des pratiques des photographies et familiales des portraits d’après …Le second, … à Paris, ne semble pas avoir la même implantation et la même histoire, ce qu’il compense par une phrase qui devait tenter le client de l’époque par son mystère et sa modernité :
« procédé d’éclairage artificiel instantané »
Là aussi, l’ensemble du lettrage oscille entre des caractères cursifs avec pleins et déliés et ornementations calligraphiques avec des polices classiques écrites en dominante en majuscule. Quant au dernier de nos trois artistes, il est installé en province à Clermont-Ferrand et fait également de ses médailles dans un décor surchargé de décoration envahissantes. Seul élément attractif à la lecture de sa publicité située comme les deux autres au verso du carton où est collée la photographie de son client, il indique photographie inaltérable au charbon et le cliché sera conservé, ce qui est une très bonne chose pour les travaux de recherche qui pourront s’opérer, je l’espère, si ces mêmes fonds parviennent à rejoindre des collections d’Etat où ces travaux remarquables seront alors inaltérables et communicables à un large public.
Photo n° 3
Quittant Paris avec ce cliché, je rejoins la capitale de l’Auvergne, Clermont-Ferrand. Là ,notre homme a choisi une image inaltérable au charbon, ce qui paraît logique pour un auvergnat. C’est ce que réalisera pour lui Léopold au 10 rue St Louis, près de la grande porte.
Cet homme des hautes terres se distingue des deux autres par sa carapace de … qui rentre tout à peine dans ce même cliché en buste. L’auteur ……… très bien pu le placer légèrement de profil pour qu’il puisse diminuer cet effet de masse qui aurait été à son désavantage. Le modèle semble, comme lors d’une radio pulmonaire, retenir sa respiration sou peine de voir le bouton de sa redingote sauter sur l’objectif de l’opérateur. Ici, la moustache est également dans la démesure par rapport à la largeur du visage. Doublement dans la démesure car les joues emportent la physionomie de notre bonhomme au-delà de la normale.
La forme de la moustache, quant à elle, diffère des deux autres en ce qu’elle n’est plus naturelle, comme celle du premier ni domptée comme celle du second. Elle est là, entre les deux, semi sauvage, semi-disciplinée, laissant apparaître sa lèvre inférieure et tombant en mèches immenses dès les commissures pour se redresser en pointes légères à la suite de ce ruban de poils denses. Dans sa terminaison, elle arbore quelques poils de pointes fines, le tout dans une ondulation qui donne au personnage une certaine souplesse. Contrairement aux autres, il se pourrait que sa moustache ne soit que le prolongement de la réussite de ses affaires et qu’avec le temps, au vu des résultats qu’il obtint, il dut la rallonger indéfiniment. De surcroît, elle lui permet d’assouvir sa nature massive et devrait ainsi participer à améliorer ses négociations à son avantage. Ce n’est pas pour autant que je lui retire toute forme de déviance pour la seule raison qu’il est auvergnat et que je partage cette noble identité. Non, je crois qu’il est comme les autres, dans le désir d’être vu et reconnu et que là est son seul but en dehors des revenus qu’il en tire.
Pour en conclure avec ces trois moustaches, ces trois hommes devaient avoir, en-dehors de la mode de leur époque, des égos fort peu dissimulables. Ces individus passionnés par le pouvoir et la reconnaissance sociale sont tous trois photographiés en regardant légèrement à côté de l’objectif, fixant ainsi un but lointain qui pourrait être celui qu’ils s’étaient donnés d’atteindre dans leurs existences respectives.
Une chose est sûre, ils ne fument pas où firent l’effort de s’en abstenir pour garder une unité parfaite à l’œuvre de leur vie.
Tous trois se sont présentés en tenue de cérémonie, en ayant pris soin d’avoir visité leurs coiffeurs avant de fixer leur image pour la postérité sur du papier, et tous trois sont d’un âge mûr, un âge où l’on souhaite peut-être conserver la trace de la réussite, du moins celle d’avoir fait naître et vivre une telle moustache.
Les deux premiers, ceux photographiés à Paris, ont un regard qui plonge en eux alors que notre auvergnat semble fixer le point qu’on lui a demandé de ne pas quitter des yeux dénotant une moins grande maîtrise de cet art qu’est celui de la photographie, où il délaissera une partie de sa nature alors qu’il aurait dû rester centré sur lui et laisser une expression détachée de toute contingence technique. Un petit régime lui aurait évité le stratagème de l’opérateur. Les trois personnages restent tous très fixes dans les trois clichés et montrent à quel point la réalisation d’une image de soi entraînait un véritable enjeu pour ceux qui s’y prêtaient. La rareté de ce type de démarche, alors qu’aujourd’hui nous croulons sous les images au point d’en laisser très peu de cette intensité, faisait que l’esprit de ces trois hommes a pu, pour l’essentiel, s’accrocher à leur apparences, parle d’eux et du regard qu’ils avaient sur le monde presque aussi bien que le commentaire qu’ils auraient pu en faire.
Messieurs, si les portraits que j’ai fait de chacun vous conviennent, vous pouvez vous précipiter chez le premier barbier de votre quantité et vous faire raser ces tas de poils qui vous ont, je n’en doute pas, fait perdre beaucoup de temps.
J’espère que le retour à une situation dépourvue de vos attributs va vous offrir une autre vie et d’autres expériences.
André Ricros