Cette bourrée est jouée par Victor Alard à la cabrette et Joseph Aigueperse (dit « le taureau de Salers ») à l’accordéon. L’extrait sonore suivant est issu d’un disque 78 tours enregistré à Paris en 1931.
Il s’agit d’un mélange de deux mélodies : « le Tourniquet » commence et finit l’extrait, et au milieu s’intercale une version de « Ieu n’ai cinq sous ». L’enchaînement des deux morceaux se fait naturellement, dans la même dynamique, dans le même mouvement, sans changement de son ni d’annonce. Il s’agit de ne pas casser le fil du morceau qui se déroule à nos oreilles.
Le couple maintenant très « classique » accordéon-cabrette est ici particulièrement mis en valeur : l’accordéon assure l’accompagnement et le rythme, puis soutient la mélodie de la cabrette en la doublant, tantôt dans les graves, tantôt dans l’aigu. La cabrette, elle, s’appuie considérablement sur ce matelas rythmique épais. Victor Alard fait entendre à quel point il sait balancer les mélodies.
Victor Alard évite souvent les temps forts en liant et faisant durer les notes, il se met systématiquement en contretemps, et ce à un niveau de découpe rythmique très fin, variant la place des appuis. De ce fait, les repères rythmiques de la mélodie varient constamment et ne se trouvent pas toujours sur le temps fort (en début de mesure). Il joue de façon très liée, très chantée, plaçant à des endroits précis des ornements (notés ~ sur la partition) et des picotages (notes très rapides jouées dans le grave de l’instrument et notées en tout petit sur la partition) afin de relancer la mélodie.
Ainsi, ce cabrettaire au jeu si particulier, qui travaillait la cabrette la nuit sous des épaisseurs d’édredons afin de ne pas réveiller les voisins, se reconnaît à la première écoute. Son « swing » caractéristique est dû au fait qu’il anticipe toujours les motifs mélodiques (comme le suggèrent les liaisons mesures 2 ou 5 par exemple), et qu’il joue toujours « au fond du temps », comme les jazzmen, c’est-à-dire en posant sa mélodie tranquillement et en la laissant se dérouler. C’est un peu paradoxal d’anticiper le fond du temps, mais l’effet est remarquable : cette bourrée danse de façon très dynamique, mais tout en finesse et tout en douceur.
Eric Desgrugillers
Pour aller plus loin :
- vous pouvez écouter Victor Alard en achetant le document présenté en cliquant ici ou en venant consulter les documents sonores de l’AMTA