Suite à cet exploit le Roussel de l’Allier fut reconnu comme le meilleur pêcheur du pays s’étendant entre Allier et Truyère.
Quant au marquis, qui avait soin de préserver sa réputation, il décida d’engager le Roussel de l’Allier à son service, afin d’être associé à sa renommée.
Après quelques discussions, il fut convenu que le Roussel de l’Allier serait embauché comme maître de pêche, avec salaire et uniforme, et qu’il formerait les membres de la famille du marquis, en donnant la priorité à son fils. De surcroît il devait organiser les pêches pour les personnes venant au château.
Notre homme s’habitua sans trop de difficultés à ses nouvelles fonctions. Et à la demande du marquis il créa la première école de pêche à la mouche du pays, où vinrent s’inscrire toute la noblesse locale dont, chose extraordinaire, nombre de femmes pour lesquelles il déploya des talents inattendus de pédagogue.
Par contre, l’initiation du fils du marquis fut laborieuse et à ses dires, il considérait que jamais cet individu ne ferait un bon pêcheur. Sa souffrance fut d’autant plus grande que le garçon ne se passionnait que pour la friture dont le Roussel de l’Allier avait le plus grand des mépris.
Durant toute sa vie, il ne cessa de faire évoluer sa technique et améliora les cannes, les soies et les mouches. Il fit même adapter une bobine pour garder du fil de réserve lors de prises de gros poissons, dont il était devenu le spécialiste, préfigurant ainsi le premier moulinet.
Cet homme remarquable développa un style qui reste encore dans les mémoires des grands pêcheurs d’entre Allier et Truyère.
Alors qu’il avait annoncé son retour sur les bords de l’Allier pour y finir sa vie, il disparut mystérieusement lors d’une partie de pêche et son corps ne fut jamais retrouvé.
Seul son nom subsiste, attaché à des mouches qu’il a créées, telle la Rousselle de l’Allier, ainsi qu’à des parties de rivières, que ce soit pour l’Allier le pool du Roussel à Langeac ou pour la Truyère le trou du Roussel sous Sainte-Marie.
Aujourd’hui encore, les derniers anciens qui ont eu la chance d’en entendre parler par leur ascendance disent qu’à l’époque des mouches de mai, lorsqu’on se promène la nuit le long du pool du Roussel, on entend le son de sa canne fouetter dans la pénombre, que c’est un endroit impossible à pêcher et que personne n’a jamais pu y attraper le moindre poisson.
Mais surtout, il est dit que pêcher le poul ou le trou du Roussel, c’est être frappé d’une telle malédiction qu’après cela il est impossible à celui qui a eu cette audace ou cette inconscience de pêcher quelque poisson que ce soit pour le restant de son existence. Et comme le dit le dicton qui est attaché à cette légende :
« Pêcher sur le Roussel
c’est avoir la tête à l’envers
et la bredouille de l’enfer. »
André Ricros
Riom, le 18 octobre 2006